Les âmes de ce village ont crié au loup, au grand méchant loup, mais plus personne ne pouvait les entendre, plus personne ne pouvait les sauver. Il était déjà trop tard.
Clém est ce happy end auquel je n'ai jamais cru pouvoir prétendre, et j'ai décidé que je l'obtiendrai et ce, coûte que coûte.
Ce dont je suis sûr, c'est que si je m'accroche, c'est toute mon existence que cette fille risque de chambouler.
Se faire larguer devant l'autel ?
Check.
Avoir le cœur brisé ?
Re check.
Se barrer avec le témoin du marié (son ex- fiancé, enfin, son ex tout court) en lune de miel ?
Re re check.
Et malgré ça, ils désirent que je sois normale ? Normale ? Ce putain de mot me brûle la langue et me laisse un goût de cendres dans la bouche. Car comment pourrais-je l’être en étant moi ? Au premier abord, on pourrait croire que je suis un ange, avec cette pâleur qui émane de mon corps et semble le nimber d’un halo argenté irréel, égaré dans ce purgatoire. Mais à l’évidence, je suis plutôt ce démon qui met en péril le fragile équilibre de leur paradis artificiel. Et tout autour de moi constitue mon enfer personnel.
Le lycée en fait notamment partie, là où chaque jour relève d’une véritable épreuve, là où chacun de mes pas me fait me sentir toujours plus différente. Je ne suis pas comme toutes ces filles stéréotypées avec leur teint parfait, leurs cheveux soyeux et ennuyeuses à mourir, auxquelles je voudrais désespérément ressembler. Juste me fondre dans le moule, entrer dans une case prédéterminée.
Ce qui interpelle chez lui, c’est ce regard améthyste ensorcelant qui fait chavirer toutes les filles. Je n’ai jamais vu une nuance pareille. Une sorte de bleu myosotis hypnotique profond tirant sur le vermeil quand les rayons du soleil traversent ses iris magnifiques. Et lorsqu’il braque sur vous ces yeux-là, vous ne pouvez que succomber. La moitié des filles du lycée en a déjà été victime. Et l’autre ne tardera pas à rejoindre la longue liste des cœurs brisés par le beau Nathan Delbart. Pour être honnête, je n’aime pas les voir tourner autour de lui comme des vautours autour de leur proie.
Ses prunelles crépusculaires me transpercent de part en part. Quand il me regarde ainsi, je n’ai pas l’impression d’être transparente, de ne pas être qu’une ombre déambulant dans un monde qui n’est pas le sien, auquel elle n’appartiendra jamais. Non. Ses yeux à lui me retiennent, m’ancrent dans la réalité et entrevoient les tréfonds de mon âme. Il y a cette électricité dans l’air qui crépite, me rend fébrile et imprègne tout mon corps. L’attention qu’il me porte devient dérangeante, perturbante. J’en reviens même à regretter l’indifférence dont les autres me gratifient continuellement.
Parce que je ne veux la compagnie de personne ici, et que personne n’a jamais désiré la mienne. Tout aurait pu être différent si nous avions été réunis avec Giulia et Nate, mais la direction en a décidé autrement. Ils craignaient certainement que mon caractère de merde et mes pétages de plomb à répétition ne contaminent ceux qui auraient le malheur d’être trop proches de moi. Une sorte de pestiférée à éviter à tout prix. Et visiblement, ma tronche n’est pas une punition suffisante puisqu’en plus on me condamne à l’isolement pour ne pas affecter ces élèves si parfaits.
Mais je dois me rendre à l'évidence : ma réserve de préservatifs a tout bonnement disparu au profit d'une unique boîte aux couleurs criardes. Mes doigts s'en saisissent, fébriles, et l'afflux sanguin quitte mes joues quand j'en déchiffre l'inscription.
‹‹ Parce que tous les goûts sont dans la nature – taille xs ››
Je manque de tourner de l'oeil. Non, mais vous me voyez me trimballer une queue multicolore ? Et bordel, xs ? Xs ?!
Clem vient de signer son arrêt de mort.
- Eh bien, dans la série Supernatural, les frères Winchester conduisent ce modèle, du coup...
Paf. J'ai l'impression que mon cerveau court-circuite une nouvelle fois. Vient-elle vraiment d'évoquer ma série préférée ? Je crois que c'est officiel : l'univers se fout clairement de ma gueule. Mon âme sœur est à portée de main, et au lieu de la faire mienne, il la laisse à un autre.