Je n’ai pas le sentiment que ce texte est l’histoire d’un deuil, qui raconterait et décrirait la douleur. C’est un texte qui veut toucher au plus près ce qui surgit après la mort, avec la mort, cette conscience, subite, de l’absence de l’autre qui sera pour toujours. C’est le moment de cette prise de conscience que j’ai essayé de saisir. Comme quelque chose de fulgurant, comme un passage obligé aussi. Oui, ce passage obligé, qui fait aller chercher et émerger les mots, qui les libèrent et libère. Ça passe par le corps, par l’acte d’écrire lui-même. Ce texte parle aussi de cet acte d’écrire.
Sans doute que j’écris les émotions qui m’habitent ou m’ont habitée, et qui traversent alors mes personnages de roman. Peut-on écrire des émotions qu’on imagine ?
Mettre des mots sur des émotions, c’est peut-être un besoin de partager. J’étais dans cette Grande Villa quand j’ai écrit ce texte, j’y étais pour écrire, je n’ai fait que ça. En alternance avec des kilomètres de nage. Écrire allait à ce moment-là de pair avec le mouvement, pour libérer la pensée.
Peu importe qui elle est, comment elle s’appelle, à quoi elle ressemble. L’essentiel est ce qu’elle ressent. C’est à cela que je me suis attachée, à ce qui la traverse. Et à l’instant qu’elle vit, avec ce qui l’entoure, une lumière, un vent tiède qui entre par la fenêtre ouverte, la nuit, l’odeur de l’été… qui ramène à l’essentiel, au vivant. C’est un peu comme un concentré de vie.
Il est des lieux comme des personnes, comme des musiques ou des langues étrangères avec lesquelles il y a « rencontre », il y a l’évidence de la rencontre. Et vous avez le sentiment d’être à la juste place. C’est ce qui se passe pour la narratrice, qui habite ce lieu comme une évidence, il lui a d’emblée été familier alors qu’elle ne le connaissait pas. La Grande Villa est un lieu qui l’accompagne dans ce « passage obligé ». Elle en fait entièrement partie. C’est un lieu qui lui a permis de respirer, à un moment où elle manquait d’air. Ainsi le lieu devient personnage. On ne sait pas toujours expliquer pourquoi et comment ces rencontrent opèrent, avec des lieux, avec des gens. Il n’y a rien à expliquer d’ailleurs.
Oui, elle m’est nécessaire. La solitude de l’écriture, c’est pour moi un long chemin, une descente, oui, un chemin qu’il est impossible de partager. Il faut y avancer sans personne, et traverser plein d’états, accueillir aussi bien le plaisir que la douleur, et tout ce que ce cheminement réveille, le sentiment de vide et de plénitude, la légèreté ou le désespoir, l’épuisement… Le doute, bien sûr. C’est tout ça à la fois qui définirait cette solitude. Mais il y a bien sûr plusieurs solitudes. On peut écrire au milieu de la foule, s’y sentir très seule, chercher la foule pour y être très seule ou la fuir.
Oui, j’étais à Alger puis à Marseille, un mois dans chaque ville, accueillie par la Marelle, une structure qui invite des écrivains en résidence d’écriture. Cette résidence était motivée par un pan de mon histoire familiale, celle de mes parents, de mon père surtout, qui a vécu quelques années en Algérie. Alors que j’étais à Alger, mon père est tombé malade, et il est décédé quelques mois plus tard. J’ai séjourné à Marseille, en résidence d’écriture, avant et après sa mort, deux semaines en hiver, puis deux semaines en été.
La prise de conscience de l’absence, dont je parlais tout à l’heure, est venue dans ce lieu, dès lors que j’ai mis la main sur la poignée de la porte quelques mois après sa mort, lors de mon 2e séjour qui me ramenait au 1er, avant sa mort. Ce lieu, c’est la Villa des auteurs. Je l’ai rebaptisée La Grande Villa, tant elle a eu d’importance à ce moment-là. Elle se situe en surplomb du site de la Friche Belle de Mai. Elle n’a été pour moi que bienveillance, elle était « Grande » avec une majuscule, comme une grande personne quand je me sentais tellement petite. Ce livre dit cet instant-là, chez elle.
La trace, c’est le livre, les mots qui se diffusent, qui se décuplent, se donnent, se partagent. Pour ce partage, oui, la trace est importante. Et pour ce que permet ce partage– éclairer, se nourrir de l’autre, se sentir moins seul aussi après la traversée de l’écriture. Le moment du livre, c’est un peu renouer avec le monde, le temps de relever la tête de ses cahiers et de son clavier, c’est livrer la trace qui permet de poursuivre l’écriture, continuer le chemin, en emprunter d’autres.
Aucun. L’envie d’écrire ne m’est pas venue de la lecture, d’autant que je me suis mise à lire très tard et que j’ai rempli des cahiers très tôt. Oui, l’écriture a précédé la lecture… Et je crois qu’il ne s’agit d’ailleurs pas d’une envie. C’est quelque chose d’intrinsèque.
Aucun ! Et ça me paraîtrait très bizarre, et malsain, d’arrêter d’écrire parce qu’un auteur ferait « mieux » ? On n’écrit pas pour se mesurer aux autres.
Le Ravissement de Lol V. Stein, de Marguerite Duras.
Il y a tellement de livres que je n’ai pas lus et que je veux lire, que je prends rarement le temps de relire…
Anna Karénine, Ulysse, Au-dessous du volcan… Des milliers d’autres. Mais pas de honte. Plutôt le regret. Il n’est jamais trop tard, mais j’aurais aimé rencontrer des livres fondateurs quand j’étais très jeune.
Le Roseau révolté, par exemple, de Nina Berberova. Et plein d’autres courts romans de cette grande dame. Qui en quelques pages vous dit tout.
Non. Pas une. Pas la mémoire des citations. Des bribes, des mots, le souvenir d’avoir aimé et recopié une phrase, plein de phrases (puis de les avoir égarées !) et le moment associé à cette lecture, le sentiment à ce moment-là, mais pas la phrase elle-même…
A la table des hommes de Sylvie Germain. En alternance avec la revue Apulée, une nouvelle revue de littérature (publiée chez Zulma) qui réunit des textes de toutes formes, et d’écrivains de tout horizon, en lien avec le Maghreb et la Méditerranée. Je m’immerge et me nourris, avant de retourner en résidence d’écriture très prochainement à Alger.
Interview de Laurence Vilaine, journaliste-enquêtrice et romancière, auteur d'un premier livre intitulé Le Silence ne sera qu'un souvenir. Dans cette première oeuvre elle aborde la condition du peuple Rom à travers l'histoire d'une communauté vivant en Slovaquie et dont elle nous a fait part lors d'un "café littéraire" de l'Institut Français de Valencia
Coïncidence irakienne du IIIe sicle avant J.-C.