Citations de Jean-Christophe Tixier (402)
J'ouvre la bouche pour réagir, quand un tonitruant "Léa !" retentit à l'extérieur.
- C'est ma mère, souffle-t-elle. Elle s'est mise en tête de m'emmener chez l'ORL. Elle est convaincue que j'ai un problème d'audition. À force de ne pas répondre quand elle m'appelle...
J'ai beau rêver de prendre mon envol, de partir conquérir la vie et le monde, je trouve mon cocon familial tellement rassurant. Je me dis qu'un jour, tout ceci ne sera plus que des souvenirs heureux auxquels je m'accrocherai quand mon existence sera chahutée par un avis de tempête.
J'envie ceux qui parviennent à se déconnecter du présent, du passé et du futur. Ceux capables de vivre la seconde en cours pour ce qu'elle est. Pas plus.
- Je vais vous expliquer le déroulement de la procédure. Dès que j'aurais signé votre certificat de libération, des agents vous conduiront au sous-sol du Palais de Justice. De là, un fourgon vous emmènera dans un lieu secret. A midi, vous serez relâché et livré à vous-même. Dès lors, chaque citoyen de ce pays aura la possibilité d'agir avec vous comme bon lui semble, en totale impunité.
(...)
Chaque jour, à dix-neuf heures précises, une série de données vous concernant sera transmise à une plateforme électronique consultable par tous ceux qui ont téléchargé l'application Guily. Outre votre poul et votre Indice de stabilité émotionnelle, le bracelet transmettra votre géolocalisation à cet instant.
(...)
Pour conclure, la loi m'oblige à vous communiquer les données suivantes. Sur les 237 personnes ayant déjà été relâchées dans le cadre de cette procédure, 175 sont mortes après avoir été lynchées par la population, 9 ont réussi à rassembler les preuves de leur innocence et ont bénéficié d'un acquittement. Les 53 autres ont disparu, sans que l'on sache ce qu'elles sont devenues.
Les larmes emportent toujours avec elles une partie de l'amertume.
- Tu te l'es faite, alors ? crie Noah.
- Ferme-là ! C'est pas comme ça avec [elle]. On est amis.
- C'est elle qui le dit, ou toi ?
- Les deux.
- Ah merde, tu t'es fait friendzoner... La friendzone, on n'en sort jamais, mec, c'est mort.
C. secoue la tête, amusé. Noah a un tas de théories sur les filles, bien qu'il n'ait jamais été plus loin qu'un baiser.
(p. 175)
S'il s'écoutait, il se lèverait et prendrait Lya dans ses bras, sans la moindre ambiguïté. Simplement sentir un cœur battre contre sa poitrine, la chaleur de sa peau, sa respiration au creux de son oreille, glisser le nez dans son cou avant de s'abandonner complètement. La prison a nourri le manque. Là-bas, la tendresse n'a pas sa place. Cette absence, tout au long de ses années d'incarcération, a été plus pénible que la privation de liberté. Chacun y joue les durs, et le premier qui évoque son besoin de tendresse est couvert de honte. Alors les détenus ne parlent plus que de sexe. Froid. Brutal - même si chacun rêve de serrer quelqu'un dans ses bras.
N'importe quel adulte, du jour au lendemain, a le droit de tout plaquer et de refaire sa vie ailleurs. Les proches de sa première vie ? La seule information que leur donneront les policiers si l'enquête aboutit, c'est que le disparu est vivant, mais ne souhaite pas rester en lien. Point barre.
En théorie, Clément trouve ça dingue, et un peu grisant, aussi. En pratique, face à l'incertitude sur le sort de sa soeur, il juge cette loi injuste et insupportable.
(p. 19)
Dix minutes à perdre?
A ce rythme, il me faudra au moins six mois pour détapisser toute la pièce.
[...]
Ma motivation vient de prendre l'eau, et mon moral se noie désormais au fond du seau.
Avant de définitivement remiser tous les ustensiles, j'arrache les fragments de papier les plus imbibés. Soudain, sur le plâtre nu, une mystérieuse inscription apparaît.
Ne croyez pas tout ce que disent les journaux.
Les gens avancent masqués. Le vie ne me semble être qu'un vaste et hideux carnaval dont j'aimerais sortir. N'y a-t-il pas moyen de vivre autrement ? Hors du mensonge ? Hors du qu'en dira-t-on ? Hors de la peur permanente du regard et du jugement des autres ? Hors de l'hypocrisie qui nous amène à exister les uns à coté des autres, sans jamais nous connaître vraiment ?
Qu'est-ce que c'est, une soeur ? Quelqu'un qui a plus ou moins les mêmes gènes que vous ? Quelqu'un qui a les mêmes parents ? Un même parent ? Quelqu'un qui a été élevé par les mêmes personnes ? Quelqu'un qui a grandi avec vous ? Quelqu'un qui partage les mêmes valeurs ? Quelqu'un sur qui on pourra toujours compter ?
(p. 171)
Je me rends compte que j'ai vécu jusque-là comme un automate. Comme tout ceux qui ont accepté le modèle qu'on nous propose. Courir après le temps, enchaîner les activités, consommer, me désintéresser de l'état du monde, ou tout du moins devenir presque indifférente. Me suis-je jamais réellement interrogée sur ce que veulent dire aimer et vivre ?
Il lâcha le proverbe que sa grand-mère répétait sans cesse à l'heure des choix :
-Un chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut emprunter qu'un seul chemin.
Il ne faut pas faire cas de la rumeur, surtout quand elle est propagée par des bonnes femmes qui s'ennuient chez elles et sont en manque de sensations fortes.
Un jour, en grandissant, j'ai cessé de croire que je pouvais stopper les vagues et la montée des eaux. Ce que j'ai fini par comprendre pour le sable, j'ai mis plus de temps à le saisir concernant la vie.
Ces temps-ci, j'ai du mal à parler de moi, à exprimer ce que je ressens. Tout, en moi, ressemble à un vaste chantier. Les mots me semblent lourds, comme englués. Par moment, je ne sais plus vraiment qui je suis. Si je ne le sais pas moi-même, comment parviendrais-je à en parler ?
Ça veut dire qu’ils étaient là pour qu’on leur mette un peu de plomb dans la tête. Ce n’était pas une mauvaise chose. On était censé leur apprendre un métier. L’État les plaçait, versait une somme pour leur entretien. Le propriétaire a vu là une main-d’œuvre corvéable à merci, qu’il suffisait de battre pour qu’elle travaille et se taise. Et comme cela ne suffisait pas, il a commencé à faire des économies sur la nourriture. Il lui raconte la soupe claire comme de l’eau. Le pain sec les bons jours. La terre que certains mangeaient pour se remplir le ventre.
- Et les livres dans tout ça ? je l'interroge.
- Ils permettent d'expérimenter tout ce qu'on n'aura pas le temps de vivre. J'aime lire. Depuis toujours.
- Et tes potes ne t'ont jamais mis en boîte pour ça ?
- Lire n'a jamais empêché de se servir de ses poings, lance-t-il.
- Ses POINGS ? je répète.
Il a un petit rire amusé.
- Vu le nombre de fois où je me suis fait traiter d'homo, il a bien fallu que je réagisse.
Je me raidis.
- 'Homo' n'est pas une insulte !
Mon ton est vif. Sans doute un peu trop.
- Peut-être, mais y a mieux, tout de même.
- Mieux ? Parce que tu penses qu'être gay, c'est moins bien qu'hétéro ?
- T'emballe pas ! Je n'ai pas dit ça, se défend-il.
- Tu ne l'as pas dit, c'est vrai, mais quelque part au fond de toi, tu le penses, comme tout le monde. Et ça pourrit la vie de ceux qui le sont.
- Eh, du calme. Qu'est-ce qui te prend ?
[Il] me regarde maintenant avec méfiance.
- Il me prend que des gens sont prêts à foutre leur enfant dehors au seul motif qu'il est gay. Tout ça parce qu'ils craignent le regard de types comme toi, qui pensent qu'être gay, c'est moins bien, et qu'ils ont trop peur qu'on les juge eux aussi.
(p. 190-191)
Si au moins la connexion Internet fonctionnait convenablement.
Je m'imagine deux jours seul, dans notre ancien appartement. Au programme : sorties, invitations, petit pique-nique dans le salon et bons délires. Mais dans ce trou, qui pourrais-je inviter ?
Je ne connais personne.