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3.88/5 (sur 4 notes)

Nationalité : France
Né(e) : 1987
Biographie :

Irénée Régnauld est consultant en transformation numérique et chercheur associé au laboratoire COSTECH (Connaissance, organisation et systèmes techniques) de l’Université de Technologie de Compiègne.

Blogueur et essayiste, il consacre ses écrits aux aspects sociaux, politiques et philosophiques que recouvre l’innovation dans les techniques. En 2017, il a fondé avec Yaël Benayoun, l’association Le Mouton Numérique, un collectif technocritique qui invite à la réflexion et au dialogue autour des questions sociétales suscitées par la "transition numérique" et qui organise et anime de nombreux débats en région parisienne et ailleurs. Irénée Régnauld vit à Pantin.

X : https://twitter.com/IreR1

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16 novembre 2022, Cap Canaveral, Floride. La fusée Space Launch System (SLS) de la NASA décolle devant une foule de 100 000 à 200 000 fans dont les caméras scrutent le pas de tir, après une première tentative avortée à l’été et plusieurs reports. Culminant à 98 mètres de hauteur pour 2 628 tonnes au décollage, le SLS est littéralement un monstre et, pour quelques mois encore, la plus grosse fusée du monde. Véritable relique de la Guerre froide (qui hérite des moteurs-fusées et des propulseurs à poudre de la navette spatiale, à la retraite depuis 2011), elle est une pièce essentielle du programme Artemis dont l’objectif est de ramener un équipage sur le sol lunaire d’ici 2025 – en plusieurs étapes. Un tremplin vers la planète rouge peut-être, et surtout un écho non dissimulé au programme Apollo, dont Artémis, fille de Zeus, est la soeur jumelle. A ce moment cependant, la mégafusée n’est pas encore habitée : le seul passager à bord de la capsule Orion (conçue par Lockheed Martin) qui la coiffe est un mannequin bardé de capteurs qui mesureront les effets de l’accélération au décollage et de la décélération lors de la rentrée atmosphérique, après 25 jours de mission dans l’espace et un survol de la Lune. L’événement prend indéniablement des allures de remake d’une séquence qui s’est étalée sur la décennie 1960, avec à son paroxysme les premiers pas de Neil Armstrong et Edwin « Buzz » Aldrin sur l’astre sélène le 21 juillet 1969.
On relève cependant au moins trois différences notables qui singularisent la période actuelle. D’abord, la concurrence n’est plus la même. La Chine s’est substituée à l’URSS, avec le programme Chang’e – double maléfique d’Artemis aux yeux des États-uniens – dont l’objectif est là aussi ambitieux : poser des « Taïkonautes » sur la Lune officiellement en 2029, pour le 80e anniversaire de la République populaire de Chine. Deuxième différence : la place des acteurs privés. Aux États-Unis surtout qui, en plus de la kyrielle de sous-traitants contribuant au programme, pourraient compter sur l’apport du vaisseau Starship de la société SpaceX pour mener à bien la mission vers la Lune. L’explosion en vol du vaisseau le 20 avril 2023 – date à laquelle il a volé au SLS le titre de plus grosse fusée du monde – laisse cependant planer un doute sur sa fiabilité : des concurrents pourraient le remplacer. Dans tous les cas, la NASA ne récolterait pas seule les fruits symboliques d’une nouvelle épopée lunaire, mais les partagerait avec certains protagonistes du « New Space », nouvelle phase de l’histoire du spatial, qui voit l’émergence d’acteurs privés supposés dynamiser un secteur encroûté. Troisième différence : il ne serait plus question de fouler la lune quelques instants – disons le temps d’une partie de golf – mais bien de s’y installer. D’y bâtir des bases, d’y miner des métaux, bref, d’aller au bout d’un processus resté inachevé au détour des années 1970, alors que les budgets lunaires s’évaporaient aux États-Unis. De quoi relancer dans un mélancolique élan rétrofuturiste une « conquête » spatiale trop longtemps mise au rebut, au regret de toute une communauté d’amateurs de l’espace (les « space enthusiasts ») lassés des atermoiements et coupures budgétaires. En 2022, le coût estimé du programme Artemis était évalué à 93 milliards de dollars (en comptant SLS et Orion) pour la période 2012-2025 : l’effort économique consenti par les États-Unis est énorme.
Bien sûr, cette lecture des affaires spatiales comporte quelques limites. La Chine n’est pas l’URSS, et les acteurs du New Space censés « privatiser » l’espace sont moins nouveaux qu’ils n’en ont l’air : ils s’inscrivent plutôt dans un projet marchand débuté dès les années 1960. L’occupation humaine de l’espace en revanche (le « vol habité ») concentre encore et toujours une bonne partie des commentaires dans la presse généraliste, quand bien même elle ne représente que la partie émergée des activités entrant dans la case « astronautique ». Cette diversion s’est illustrée dès la création de la NASA en 1958. La « course à la Lune » est alors érigée en spectacle pop par un président Kennedy qui cherche à démontrer la suprématie technologique et idéologique de l’Amérique contre l’URSS. Les deux Blocs s’affrontent ainsi sur une scène géostratégique et spectaculaire, rythmée par les grandes premières des astronautes et cosmonautes. Au même moment pourtant, les malins génies des armées planchent sur le scénario de « l’holocauste nucléaire » et font exploser des bombes atomiques dans l’espace. Et alors que la foule regarde le ciel, les fusées sont bien plus nombreuses sous terre, prêtes à transporter leurs charges nucléaires vers l’ennemi.
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En marge du paradigme de la conquête de l’espace, de ses discours d’accompagnement propagandistes, de la longue histoire militaire dans laquelle il s’inscrit et des incessantes tentatives de marchandisation du milieu, des pratiques scientifiques, des critiques et des contre-récits ont de longue date émergé. Ceux-ci ébranlent l’idée préconçue d’un désir d’espace uniforme et consensuel, à rebours d’une doxa qui a non seulement imposé une lecture trop apaisée de l’histoire de l’astronautique, mais a aussi arbitrairement dessiné son futur. Car les utopies cosmiques et expansionnistes ont la vie dure, dans les discours des multimilliardaires perfusés à la science-fiction comme dans les effets d’annonce des agences et des industriels qui peinent à s’en extirper, voire cultivent le flou si cela peut concourir à légitimer certaines de leurs activités. Le caractère performatif de ces récits imposés est tout relatif – nous avons pu voir que l’économie de l’espace, par exemple, repose en grande partie sur la commande publique – mais ces derniers n’en demeurent pas moins dominants, au point d’écraser tous les autres. C’est pourquoi un travail de dévoilement d’autres espaces – d’actions et de réflexions – est nécessaire.
Ce travail implique en premier lieu de ne pas sacrifier les technologies du spatial sur l’autel de leur histoire contrariée. L’historienne et sociologue des sciences Susan Lindee a bien montré que l’essor des sciences et des techniques modernes tire souvent ses racines des guerres, véritables « laboratoires » venant alimenter accidentellement l’accroissement des connaissances en produisant çà et là ce qu’elle nomme des « données collatérales » (en référence aux « dommages collatéraux »). Ainsi en va-t-il, entre autres choses, des industries chimique et biologique (dont les usages militaires ont été traumatisants), du nucléaire (de la bombe à la centrale), de la balistique, de la statistique ou encore de l’astronautique. Il n’y a dans ce constat aucune fatalité bien sûr, et encore moins matière à légitimer la guerre elle-même : les progrès scientifiques peuvent tout à fait s’en passer. De même que Lindee fait de l’étude de ces laboratoires une contribution plus générale à l’histoire des sciences, nous avons froidement documenté celle de l’astronautique et souligné sa violence. Il nous faut tout aussi froidement rappeler l’importance capitale du milieu et des technologies spatiales dans le monde qui est le nôtre. Non pas dans l’idée d’applaudir l’ensemble des usages qui en découlent (par exemple, l’accélération des flux marchands ou militaires permise par les « mégaconstellations »), mais avant tout pour redire son intérêt scientifique. À double titre : celui d’une quête de connaissance qui concerne notre univers mais aussi l’amélioration de notre compréhension du changement climatique dont les satellites fournissent des preuves cruciales. Ces activités essentielles ne continueront pas à se faire sans fusées, sans bases de lancement ni sans les savoir-faire des ingénieurs qui bâtissent et maintiennent ces systèmes techniques.
Cet ultime chapitre fournira aussi des éléments pour une histoire davantage sociale et culturelle de l’espace. Une histoire ponctuée de critiques, mais également d’imaginaires sociotechniques qui tranchent avec les récits de conquête et les velléités de colonisation d’espaces vierges dans le registre du Far West. Nous ne devrions pas doucher les rêves d’exploration et de contemplation de l’espace au prétexte qu’ils ont été happés par la rhétorique des astrocapitalistes. Ils n’en sont pas les dépositaires. D’autres perspectives culturelles, d’autres cosmologies leur ont fait face et continuent de le faire, dans des domaines aussi variés que l’ingénierie, la lutte pour la démilitarisation, la culture populaire, la science-fiction ou les revendications décoloniales.
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À rebours de l’histoire classique des technologies spatiales, faite par et pour les convaincus, la trame que nous proposons assume un cadrage politique d’ensemble. Il s’agira de mettre en série des faits établis dans les recherches historiques récentes, mais souvent ignorés de l’histoire des « affaires spatiales » – et pour cause, ces faits étaient encore classés « secret-défense » il y a encore peu de temps, ou bien étaient confidentiels car mettant en jeu des secrets industriels. À cette fin, nous documenterons et synthétiserons les histoires spatiales en passant par des éléments biographiques, l’histoire des programmes emblématiques, et d’autres programmes passés sous les radars. Ce travail permet de lever le voile sur le cours des événements, comme on gratterait un palimpseste : un parchemin où les couches d’écriture ont été superposées les unes aux autres, de sorte que toute profondeur historique est masquée. Or ce sont bien les continuités que nous nous efforcerons de révéler. Aussi, ce livre donne une place importante aux sources que nous mobilisons, et laisse la possibilité au lecteur d’aller butiner plus en détail dans notre frise : d’autres ouvrages ont documenté plus précisément certains de ces détails dans des champs aussi divers que l’astroculture, l’espionnage ou encore la conquête de Mars.
L’histoire que nous brossons permet d’appréhender ce paradigme de la conquête de l’espace sous un angle critique, de déconstruire les discours d’enchantement et de reconstituer les dynamiques de fabrication d’une évidence spatiale en tout point conforme aux récits de science-fiction utopiques. On constatera à ce titre que les « rêves » de l’astronautique n’ont rien d’universel ni d’assuré : non seulement ils bénéficient à certains plus qu’à d’autres mais en plus, la plupart du temps, ils ne se réalisent pas, à l’instar de la conquête de Mars. Les arguments qui soutiennent cette « évidence spatiale », apportés sur un plateau par les porte-parole des organisations et lobbies du champ de l’astronautique (l’espace, ce serait l’esprit d’aventure, et/ou la science, et/ou la croissance sans limites, ou encore une quête spirituelle, etc.), tournent souvent à vide et n’emportent in fine l’adhésion qu’au prix de malentendus durables et de récits tronqués. L’attester demande d’interrompre le cycle de la croyance, tellement exacerbée dans le cas des vols habités, dont l’industrie anime les communautés de passionnés se disant prêts à sacrifier leur vie à la conquête du cosmos.
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La conquête spatiale est un aussi un lieu commun, un réflexe sémantique. Il semble difficile, voire impertinent, de s'en départir quand on parle d'espace, tant la formule exprime avec facilité ce qu'on entend par là : repousser les frontières, faire vrombir les moteurs-fusées et tutoyer les étoiles. Aussi, ce ne sera pas pour nous un concept analytique neutre à mobiliser pour rendre raison d'une histoire centenaire, mais bien plutôt un préjugé culturel dont nous analyserons les usages et les réalités. C'est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit d'une notion piégée. On s'en rend compte sur le terrain : nombre d'acteurs de la communauté spatiale considèrent que l'imaginaire de la conquête est désormais à bannir du vocabulaire de l'astronautique, car il résumerait une attitude prédatrice, historiquement dépassée. Le problème est analogue avec la notion tout aussi sulfureuse de « colonisation », souvent associée à celle de conquête. (11)
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