Ana raconte lhistoire de la violence faite aux femmes, du consentement trahi, de la honte et de lhumiliation, mais aussi de lespoir, du courage, de lamour ou comment à travers le tragique il est possible de se transformer. Dans les violences de la vie, Ana trouve lamour.
Un roman poignant dune grande beauté.
Ana
Cathy Borie
ISBN 978-2-37622-234-7
Éditions L'Échelle du temps
Son rire ricochait dans la tête de Clémentine et l’émouvait étrangement. Elle se disait soudain qu’elle n’avait jamais rencontré une personne qui était aussi juste que Lise : elle ne trouvait pas d’autre mot pour décrire ce qui émanait d’elle.
Toute la soirée, cette impression dominante de justesse s’imposa à elle et colora les quelques moments qu’elle partagea avec le couple.
Au loin, le coucher du soleil n'avait plus les rougeoiements glorieux d'antan, pourtant les plaies dorées dont il entaillait le ciel grisâtre, à la lisière de l'eau, coloraient l'île et ses îlots d'une lumière d'albâtre, donnant à Jack l'illusion d'un pays posé sur les vagues, bercé par elles, refusant d'être englouti par la nuit.
Mais combien étaient-elles donc ? Après la cohorte des femmes qui abandonnaient leur bébé, voici que dans sa tête se déployait la foule de celles qui avaient été violées et qui ne le savaient pas, qui en doutaient, qui se taisaient et tremblaient de peur et de culpabilité.
Et ses yeux… Ses yeux toujours ouverts, que le père de famille n’osait pas fermer, non par peur de toucher ce corps inerte et sûrement froid, mais parce qu’il avait l’impression que rabattre ces paupières serait comme le faire mourir une seconde fois. Dans ces yeux se lisait encore un souvenir d’espoir, une trace étincelante, tout entière contenue dans les paillettes dorées posées juste au bord d’un des iris couleur châtaigne
Sentir battre son coeur, éprouver sa chair comme vivante, expérimenter le parcours des liquides sous sa peau, voilà qui revêtait aujourd'hui une importance bien plus grande que tout discours cohérent.
Même les oiseaux familiers paraissaient timides et retenus dans leurs trilles, quelques tourterelles posées sagement sur le toit d'en face se taisaient, l'oeil fixe et vigilant.
Mina sans doute avait transmis à ses filles des toiles d'araignée si fines qu'elles s'accrochaient imperceptiblement à leurs rêves, et chacune à leur façon elles eurent à se débattre pour les chasser, agitant les mains et secouant leurs cheveux, ou fermant les yeux pour ne plus les voir, pour rejeter cette peur qui ne leur appartenait pas mais qui les étreignait de ses fils subtils et soyeux.
Sans Jack, elle ne lit plus. Comme si la réalité l'avait rattrapée et l'empêchait de franchir le miroir, colmatait tous les interstices où aurait pu se glisser l'imaginaire, rabattait vers le sol ses envies d'envol. Et ce soir encore, après avoir relu dix fois le premier paragraphe, Camille renonce.
La perte d’une mère est sans doute, dans la plupart des cas, un déchirement, une douleur incommensurable, et le manque met toujours des années à s’estomper.
Les oreilles de Grégoire bourdonnent encore. On dirait bien que sa solitude recule doucement. Il ne sait pas s’il doit s’en réjouir. Il ferme les yeux et laisse les doigts d’or du soleil toucher son visage.