Ayelet Gundar-Goshen -
Une nuit, Markovitch .
Ayelet Gundar-Goshen vous présente son ouvrage "
Une nuit, Markovitch". Parution le 18 août 2016 aux éditions
Presses de la Cité. Rentrée littéraire 2016. Traduit de l'hébreu par
Ziva Avran,
Arlette Pierrot,
Laurence Sendrowicz. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/gundar-goshen-ayelet-
une-nuit-markovitch-9782258133853.html Notes de Musique : Babylon surround dem (ft. Dr Israel) by Metastaz. Free Music Archive. Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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Emigrer, c'est passer d'un endroit à un autre, avec, attaché à ta cheville comme un boulet d'acier, le lieu que tu as quitté. Voilà pourquoi il est si difficile d'émigrer: marcher à travers le monde en ayant les pieds entravés par un pays tout entier, c'est quelque chose qu'il faut être capable de supporter.
Sache qu'elle n'a peut-être pas les seins aussi parfaits que ceux de Rachel, mais elle a tellement d'humour que tes couilles jouent des castagnettes rien qu'en l'écoutant. (P31)
[...] le contraire de l'amour n'est ni la haine ni l'invective, mais la sereine indifférence.
" Même le poing serré fut un jour une main ouverte."
Yehouda Amihaï
(page 9).
Il sait parfaitement qu’on ne peut rien voir dans ce garage tant l’obscurité est épaisse, pourtant il se retourne sur son matelas pour lui faire face et relève les paupières. Noir total. Des yeux qui ne voient rien voient tout, justement. La preuve : surgit aussitôt l’epaule ronde qui lance des éclairs chaque fois qu’elle se penche pour ramasser quelque chose et que sa manche tombe un peu sur le côté. Surgissent ses seins, enfin libérés de l’entrave des robes en coton, gonflés et fièrement dressés. Surgissent ses lèvres, ses joues, ses hanches. Et ses mouvements félins, sa démarche, toute de désir contenu, endormi et sauvage. La distance qu’elle veille à garder, la force qu’elle dégage et la certitude que jamais il ne pourra entrer en elle - même s’il la pénétrait - voilà qui met son sang tellement en ébullition que c’en est presque douloureux.
Oui, on aurait pu penser qu'ils ne vieilliraient jamais. Pourtant si, ils vieillirent. Oh, cela n'arriva pas brusquement, cela n'arrive jamais brusquement. On se concentre sur les broutilles du quotidien - l'éducation des enfants, le travail, un ou deux bons repas - et tout à coup on relève la tête et, ça y est, on est vieux.
Ressentir un léger malaise ne signifie pas souffrir. On peut passer une vie entière plus ou moins mal à l'aise.
- Sachez, madame, qu'il est mort en héros.
[...] Elle lui jeta un regard railleur.
- On ne meurt pas en héros, on meurt en mort.
Comme il ne trouvait pas quoi répondre à une telle affirmation, d'apparence très simple, mais qui contenait en elle les germes d'une dangereuse controverse, il prit son courage à deux mains et déclara :
- Il y a tout de même une différence certaine.
Elle se releva et se dirigea vers la cuisine. Markovitch se hâta de la suivre. Presque toute la vaisselle et les vivres ayant servi de projectiles, ne restait plus sur le plan de travail qu'un poulet un peu gras.
- Tu vois ce poulet que je préparais avant ton arrivée. Eh bien, penses-tu qu'il fera la différence si on le mange en boulettes ou en escalopes ?
- Ce n'est pas la même chose, car...
- Pareil pour mon homme ! le coupa-t-elle. Mon imbécile, fainéant, infidèle, chaud lapin et gros porc de mari, tu crois qu'il fera la différence si on l'enterre en héros ou en salopard ?
Et elle lui jeta le poulet à la figure.
(p. 280-281)
Trois jours plus tard le bateau entrait dans le port de Jaffa sous les applaudissements d'une foule massée le long des quais. Sur le pont, les femmes épongeaient la sueur de leur front. Il faisait chaud. Très chaud. [...] La seule consolation fut, pour toutes les passagères, de découvrir qu'une déesse telle que Bella Zeigermann avait, elle aussi, des glandes sudoripares. Joie prématurée : les deux taches qui s'étendaient sous ses aisselles ne servirent qu'à révéler aux hommes qu'elle était bien de nature humaine et non fantasmatique. Ils se mirent donc à redoubler d'efforts pour essayer de tisser avec elle des liens qui ne se termineraient pas en même temps que la traversée. C'est ce qui explique qu'elle descendit du bateau entourée d'une dizaine de courtisans qui se disputaient l'honneur de porter ses bagages, alors que leurs épouses légitimes, abandonnées sans scrupule, ployaient sous le poids des leurs.
(p. 92-93)
Regarde-nous, regarde ce pays, regarde la terre d'Israël. Deux mille ans, nous l'avons attendue, nous avons soupiré en rêvant à elle, nous dormions la nuit en étreignant une manche de sa chemise, car qu'est-ce que l'Histoire sinon une manche de chemise vide, sans goût et sans odeur ? Tu penses qu'elle nous accepte ? Qu'elle répondra à notre amour ? Foutaises ! Cette terre ne fait que nous rejeter, elle nous envoie au diable et nous frappe sans pitié. D'abord les Romains, ensuite les Grecs, puis les Arabes, et maintenant les moustiques. Alors quoi ? Quelqu'un ici s'est-il dit : Puisqu'elle ne veut pas de nous, nous devons nous en aller ? Ou encore : Il ne faut pas rester de force sur une terre qui essaie de se débarrasser de nous dès l'instant où nous l'avons foulée. Non. On s'accroche et on espère. On espère qu'un jour viendra où, peut-être, elle regardera alentour, nous verra et nous dira : Vous, c'est vous que je veux.