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Critique de Antyryia



"Tous les jours, 150 000 personnes en moyenne meurent dans le monde."

Contrairement à Victor Hugo qui, lors des séances de spiritisme auxquelles il se joindra à compter de 1853 et qui seront consignées dans des procès verbaux, je n'ai jamais eu l'occasion de discuter avec les esprits de Platon, Dante, Shakespeare ou même Jésus Christ.
Quand j'étais étudiant, j'ai cependant plusieurs fois participé à des séances de tables tournantes. Nous étions entre deux et quatre et dans une semi-pénombre, nous disposions chacune des lettres de l'alphabet en cercle, ainsi que les chiffres et les mots "Oui" et "Non" au centre, créant une sorte de Oui-ja de circonstance. Avant de poser notre doigt sur un verre et de scander "Esprit, es tu là ?".
Ce loisir macabre et beaucoup plus courant qu'on ne le pense ne m'a jamais permis de dialoguer avec une personne décédée, j'en suis à peu près convaincu. Quand le verre se mettait enfin à bouger après quelques minutes d'attente, sans que quiconque ne le déplace consciemment, une fois sur deux nous avions "Satan" en ligne et ses réponses à nos questions étaient souvent totalement farfelues.
La seule anecdote qui m'ait un peu intrigué durant cette période pseudo-occulte, c'est quand un jour j'ai demandé à l'esprit de nous donner les quatre prénoms des personnes qui étaient à la table. Sans hésiter, le verre a glissé vers le chiffre "9" et a commencé à écrire tous les prénoms des participants. Nous étions deux à avoir trois prénoms, le troisième en avait deux, et le quatrième un seul. Soit neuf prénoms en tout effectivement, détail qu'aucun de nous ne pouvait connaître individuellement.
Mais avec le recul, je crois bien davantage à un phénomène d'inconscient collectif qu'à une quelconque manifestation de l'au-delà.
Mon scepticisme concernant la présence d'esprits errants dans notre monde ne m'a pas permis d'aborder le nouveau roman de Werber avec sérieux, malgré les quelques détails troublants dont le livre est parsemé.

Depuis l'au-delà n'est pas une suite aux Thanatonautes, auquel l'auteur fait pourtant bien allusion :
"Le paradis ou "Continent des morts" est constitué de sept niveaux dans lesquels l'âme traversera différentes épreuves qui lui permettront de comprendre le sens de la vie."
Le premier était extrêmement documenté et s'intéressait aux voyageurs de la mort en nous décrivant un après auquel on pouvait croire.
Tout en s'inscrivant dans la même lignée d'outre-tombe, ici Werber va davantage s'intéresser aux esprits qui ne choisissent pas la réincarnation mais qui continuent à hanter le monde des vivants, c'est à dire quatre-vingt-dix pour cent des défunts. Et il va le faire avec beaucoup d'humour, sous la forme d'un polar surnaturel.
Qui demande d'accepter que les esprits de Napoléon, d'Edison ou de Conan Doyle voguent toujours parmi nous sous leur forme immatérielle, pouvant discuter entre eux ou avec les vivants "connectés" à cet autre monde.

L'écrivain populaire Gabriel Wells est victime d'un meurtre : Quelqu'un l'a empoisonné. Démarrant sa journée comme si de rien était, il ne tardera pas à rencontrer une véritable médium, Lucy Filipini, qui lui fera comprendre qu'il n'est désormais plus qu'un ectoplasme.
"Considérez que vous vous êtes débarrassé de tout ce qui est superflu, encombrant, fragile, pour ne conserver que l'essentiel : votre esprit !"
Obsédé par la découverte de son assassin, il formera alors une alliance avec la spirite qui est quant à elle toujours à la recherche de l'amour de sa vie, étrangement disparu une dizaine d'années auparavant.
Echange de bons procédés.
"Nous travaillerons en parallèle des deux côtés du monde."
Avec l'aide de feu son grand-père, Gabriel partira à la recherche du bien aimé volatilisé de Lucy, incarnant un enquêteur capable de voler ou de traverser les murs.
Quant à Lucy, entre deux consultations souvent cocasses de clients hantés ou de personnalités politiques, elle interrogera les quatre principaux suspects du crime afin de résoudre cette dernière énigme empêchant Gabriel d'accéder à l'étape suivante de son existence post-mortem.
Elle questionnera donc successivement :
- Thomas Wells, le jumeau de Gabriel, aussi cartésien que son frère était rêveur, qui refusera qu'on autopsie le corps de la victime et prendra soin de détruire le livre que Gabriel devait publier prochainement.
- Alexandre de Villambreuse, l'éditeur de Gabriel, qui s'apprête à créer l'écrivain virtuel via un logiciel informatique pour pouvoir diffuser ce fameux roman perdu : L'homme de mille ans. Et pourquoi pas ensuite des inédits de Flaubert ou d'Homère ?
- Sabrina Duncan, l'ex-compagne de Gabriel, actrice réputée incarnant les empoisonneuses à l'occasion.
- Et enfin Jean Moisi, critique littéraire, qui a récemment déclaré "Wells est le pire auteur que je connaisse , il est la honte de la profession." ou encore qu'un bon écrivain de science-fiction était un écrivain mort.

Comme dans chacun des romans de Werber, Depuis l'au-delà s'avère une mine d'informations en lien avec les sujets abordés au sein du roman. L'encyclopédie du savoir relatif et absolu ( volume XII ) d'Edmund Wells fait son retour et nous gratifie de nombreuses anecdotes méconnues en les restituant dans leur contexte historique. En lien avec la mort et la communication avec l'au-delà, vous apprendrez par exemple qu'à l'origine du mythe de la créature de Frankenstein, en 1803, Giovanni Aldini a été capable d'animer brièvement des cadavres grâce à l'électricité. Que depuis l'an 1200 ont été dénombrés vingt-quatre moines bouddhistes devenus "Sokushinbutsu", c'est à dire qu'au-delà de la mort, leurs corps ont été préservés sans qu'aucun rituel d'embaumement n'ait été pratiqué. Ou encore qu'en 1897 en Virginie occidentale, le témoignage d'un fantôme va permettre une condamnation pour meurtre.
Vous en saurez davantage sur Allan Kardec, le fondateur du mouvement spirite en France, et sur toutes les personnalités littéraires ou politiques qui ont été entraînées dans ce mouvement, convaincues de dialoguer avec les défunts.
Vous connaîtrez les noms des âmes les plus sombres ( Gengis Khan serait responsable de la mort de plus de vingt millions d'individus ) mais aussi celui des âmes les plus lumineuses. Des noms beaucoup moins célèbres, comme celui de James Harrisson, dont le sang a permis de sauver deux millions d'enfants atteints d'une forme mortelle d'anémie.
Et des dizaines d'autres évènements insolites, parfois inexplicables, qu'on découvre avec étonnement, dégoût ou ravissement, et qui participent à cet enrichissement culturel bienvenu.
Sans oublier que mon vocabulaire s'est accru de quelques nouveaux mots comme néotonie ou pronoïa.
Tout ça pour dire qu'on apprend beaucoup et qu'on réfléchit également sans que cela ne dissipe le côté très ludique du roman.

A la façon dont l'a fait récemment Romain Puértolas dans Tout un été sans facebook, Bernard Werber milite pour une lecture pour tous, en fervent défenseur de la littérature imaginaire.
"Il n'y a pas de mauvais genre littéraire en soi, il y a de bons et de mauvais ouvrages dans tous les genres."
Il faut dire aussi que les similitudes sont nombreuses entre l'auteur et le personnage de Gabriel Wells. Outre leur métier, ils ont tous les deux écrit sur la mort ( un parallèle est évident entre leurs livres respectifs "Les thanatonautes"et "Nous les morts", d'autant que pour chacun des deux hommes les livres ont été des échecs commerciaux ), ils ont tous les deux également rédigé un cycle à succès, ils écrivent une littérature populaire accessible au plus grand nombre. Tous deux font partie de "La ligue de l'imaginaire". Ils sortent un livre par an à date fixe. Et le grand-père retrouvé dans l'au-delà, Ignace Wells, est sans aucun doute un hommage, une incarnation du propre ancêtre de Werber puisque comme lui, il a souffert de l'acharnement thérapeutique avant d'être enfin délivré.
Où commence et où s'arrête la mise en abîme de l'auteur ? C'est difficile à dire. Mais de là à imaginer que Werber règle ses comptes avec ses détracteurs, il n'y a qu'un pas.
Ce pas prend l'apparence de l'odieux critique Jean Moisi, qui ne jure que par la littérature classique et qui condamne fermement toute oeuvre fantasmée par l'imaginaire, du polar à la fantasy en passant par l'érotisme et l'horreur.
"Moisi est persuadé qu'il fait de la littérature intelligente pour les gens intelligents et que Wells fait de la littérature idiote pour les idiots."
A l'instar de Wells, l'oeuvre de Werber a parfois été décriée par les critiques jugeant ses livres trop simplistes. Est-ce une façon de régler ses comptes que de dire :
"Je ne reconnais qu'un seul critique : le temps. Le temps donne leur vraie valeur aux oeuvres." ?

Au risque de jouer à mon tour le méchant critique, même s'il est vrai qu'il existe encore dans les mentalités élitistes une sous-littérature de genres, cette distinction est de moins en moins vraie. Il est désormais courant de lire des thrillers dont l'écriture soignée et la psychologie fouillée des personnages pourraient presque faire des classiques. Même si "Au-revoir là-haut" n'était pas un roman policier, Pierre Lemaitre était encore catalogué comme auteur de polars quand il a eu le Goncourt. Les mentalités évoluent doucement grâce à de nombreux auteurs de talent.
Même si j'ai relativement pris plaisir à cette lecture, ici il n'est pas possible d'évoquer l'écriture majestueuse ou la complexité des protagonistes. Il s'agit vraiment d'un roman assumant son aspect purement imaginaire, mais dans lequel il faut trop en accepter pour pouvoir y croire et s'y immerger totalement. Le thème de celui qui enquête sur son propre meurtre depuis l'au-delà n'est pas nouveau, et je ne peux que conseiller l'excellent roman de James Herbert "Le jour où je suis mort" qui partait sur le même postulat, avec cependant bien davantage de subtilité. Ici, on est vraiment dans un délire total où Wells accepte très vite sa nouvelle forme invisible, où discuter avec des morts célèbres fait partie de la routine, où des esprits sont à l'affût pour s'emparer de nos corps, où on peut choisir de se réincarner en acteur de porno, où la naïveté de la médium confine au ridicule. Le summum du grand n'importe quoi étant l'illustration finale de ce conflit littéraire relaté dans ces pages avec un combat épique opposant créatures issues de l'imaginaire (  Chtulhu, les trois mousquetaires, Dracula ... ) à l'armée de Rotte-Vrillet ( toute ressemblance avec le nom d'un célèbre auteur n'est pas forcément le fruit du hasard ) emmenant avec lui Julien Sorel, Emma Bovary ou les frères Karamazov...
"Et soudain, les deux armées de personnages littéraires se percutent avec fracas."

J'ai aimé la majorité des romans de Werber pour leur côté instructif et visionnaire. En tout cas il a le mérite d'évoquer simplement des sujets préoccupants en nous y sensibilisant, en particulier quand il évoque le futur probable de notre planète ou nos possibles évolutions.
Au niveau culturel, le roman est une vraie réussite, même si je regrette un peu qu'aucune anecdote n'ait réussi à me convaincre que tout ne s'arrêtait pas forcément au moment du trépas. J'ai beaucoup aimé la fin, la résolution du meurtre, qui est fort originale et qui n'est pas non plus impossible à deviner, surtout si on est déjà familiarisé avec les idées récurrentes de l'auteur : de nombreux indices peuvent nous mettre sur la voie.
Globalement, j'ai beaucoup apprécié l'humour, un peu lourd parfois, mais qui donne à l'inverse beaucoup de légèreté au récit. On sent que Werber a pris plaisir à écrire son roman, à incarner le temps d'un livre ce quasi-sosie.
J'ai apprécié aussi que l'auteur défende "sa" littérature et toute celle de la ligue de l'imaginaire, même si j'aurais préféré qu'il le fasse au sein d'un livre qui soit plus sérieux, qui parte un peu moins dans tous les sens, bref qu'il ne revendique pas autant cette étiquette de "sous-genre" : Au final le propos, aussi judicieux soit-il, a moins d'impact.
D'autant que pour le côté réaliste, la part qu'a laissée l'auteur à son imagination totalement débridée ne m'a pas convaincu. Ici, Werber s'est créé une auto-fiction farfelue en imaginant faire vivre à cet alter-égo de folles aventures pleines d'action et de rebondissements par delà la mort sans qu'on puisse y croire une seconde. Les idées originales sont là, mais elles ne sont pas coordonnées et donnent l'impression que le roman a servi de fourre-tout faisant de l'au-delà un terrain de jeu plutôt qu'une science même inexacte par la force des choses.

Autant j'avais refermé "Les thanatonautes" avec l'espoir que l'au-delà ressemblait peut-être à ce long voyage qui nous étaient décrit, autant la mort redevient la grande inconnue après cette vision un peu trop délirante à mon sens de nos défunts voltigeant dans les cieux, hantant les vieux châteaux ou s'immisçant dans l'intimité de jeunes starlettes ni vu ni connu.
Alors que le roman est axé sur les âmes errantes, la communication possible avec les disparus et sur les choix qui sont proposés aux morts ( "Lucy Filipini a un accès direct à la Hiérarchie qui lui permet d'offrir aux âmes errantes des réincarnations dans des foetus exceptionnels" ), son aspect saugrenu me fait à l'inverse douter cette fois d'une quelconque suite après ces années terrestres.
Alors au lieu de rire de toutes ces facéties, je ressors cette fois plutôt pessimiste de ma lecture.
Pour savoir ce qui nous attend de l'autre côté, il faut non seulement mourir, il faut aussi que cet autre côté existe.

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