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Critique de Agneslitdansonlit


D'ores et déjà, un grand merci aux éditions Stock et à Netgalley pour cette très belle lecture.

Ce sont avec des mots d'une constante délicatesse que Cédric Sapin-Defour raconte l'amour profond qui le lie à son compagnon, un bouvier bernois, dénommé Ubac. Un nom qui laisse transparaître la passion de l'auteur pour la montagne.
Car s'il est enseignant d'EPS, je découvre aussi par le biais de ses précédents ouvrages que Cédric Sapin-Defour est un mordu de montagnes, tombé en amour, jeune garçon, des Alpes. D'où des publications de chroniques dans différentes revues, et différents ouvrages mais toujours autour du monde de la montagne.
Mais dans "Son odeur après la pluie", si la montagne est bien présente, elle sert de cadre au récit autobiographique du lien entre un homme et son chien,... à moins que ce ne soit entre un chien et son homme ? Car la réciprocité du lien est entière et l'amour complet.

Nous sommes nombreux à connaître ce sentiment d'amour infini pour un animal et il n'y a pas lieu de se tromper : comment un attachement entre deux espèces différentes pourrait-il être d'une autre nature que l'amour ? Cédric Sapin-Defour en déroulant son quotidien avec Ubac, montre toute l'étendue de cet amour entre deux êtres qui appartiennent à deux mondes différents, n'ont pas le même mode de communication, les mêmes espérances de vie, et pourtant, se portent une affection sincère, naturelle et sans faux-semblants durant le court laps de temps de leur cohabitation.

Il y a dans les mots de ce grand baroudeur, qui aime à se coltiner avec l'apreté de la montagne, une immense douceur et la prévenance d'un être conscient du vivant autour de lui.

Une annonce, dans un journal, d'une éleveuse de bouviers, créé un véritable déclic. Pourtant l'auteur a déjà eu un chien, il a donc déjà vécu la tristesse de sa perte, mais le besoin de cette rencontre est irrépressible.

La première visite est un moment d'une délicate tendresse, toute en émotion fébrile. On sait bien ce qui se joue alors : parmi tous ces petits êtres, boules de poils à aimer, un seul sera lié à nous et deviendra un vrai compagnon de vie. le coup de foudre de l'auteur pour son chien, mais aussi sa culpabilité de l'arracher à la chaleur de sa portée, sont particulièrement émouvants.

À travers son lien avec son chien, l'auteur examine sa propre existence. Il comprend que son animal et lui ne peuvent avoir le même regard et n'hésite pas à remettre en cause sa façon de voir. Ce sont parfois des détails mais le "maître humain- propriétaire" perçoit son chien comme un "maître-enseignant" dispensant des leçons de retour à la simplicité et au pragmatisme :
"Un chien réinvente vos lieux. Il fait peu de cas de vos usages, de votre sens de circulation et de votre place préférée. Ubac ne va pas du tout où je pensais qu'il irait, il redéfinit l'endroit vu de ses yeux et de son importance des choses. Je n'aurai de cesse d'observer sa vision du monde pour me souvenir comme la mienne n'en est qu'une parmi d'autres. La vue lac qui me coûte un bras chaque mois, il s'en fiche. C'est en plein milieu de l'étroit couloir qu'il décide que ces horizons sont à ce jour le plus larges. Il s'y affale".

En réalité , c'est tout le rapport de l'homme à l'animal que l'auteur met en lumière et réinvente, ou plutôt, vit selon sa propre sensibilité. Car Cédric Sapin-Defour ne se perçoit pas comme "le maître", être supérieur et dominant, de son compagnon chien. Il ne se situe pas dans une relation inféodante basée sur le rapport de force. Ils sont juste dans le partage. La relation entre Cédric et Ubac n'est pas celle d'un dominant- dominé, leur amour est partagé et réciproque : "Alors nous allons nous promener, j'y tiens, aucun ne promène l'autre, il s'agit d'une chose équilibrée."

À observer son chien et partager son quotidien, l'auteur en retire des leçons. L'espérance de vie d'un chien est plus courte que celle de l'humain. Peut-être est-ce pour cela que l'animal profite de tout, ancré dans l'instant qu'il vit : "Sa faculté à s'émerveiller est un antidote au désenchantement ".
Leur passion commune pour les grandes balades dans leurs merveilleuses montagnes sont autant d'occasions pour emprunter à l'instinct de liberté et de lâcher-prise de son chien :
"Je m'essaie du mieux possible à sa liberté [...] C'est aussi cela marcher avec un chien, c'est s'éloigner, se rendre aux scènes immuables, les cascades, les forêts et les mares".

Ubac, tout chien qu'il est, n'en illustre pas moins l'élan de vie qu'il apporte au quotidien. "Un chien a vocation à protéger de l'immobilité, il est un antidote à la fossilisation. Méfions-nous, ça tue des vieux cette histoire ; un jour, leur chien meurt, sortir devient triste, inutile et pénible."

À travers les mots de l'auteur se tisse une ode à son chien, mais pas seulement. Cédric Sapin-Defour célèbre la plénitude d'une telle équipe, et encore bien au-delà, parce que son chien lui "fait ouvrir les yeux" sur la vie, le monde, la beauté qui l'entoure, ce récit devient une éloge de l'amour, des êtres aimés. Mais aussi de la vie elle-même, car c'est bien l'amour qui nous révèle les beautés fugaces de cette existence. Celui qui n'est pas heureux ne regardera pas autour de lui. Celui qui partage une véritable relation d'affection a les yeux ouverts et le coeur grand.
"Une couche de hardiesse, voilà ce que ce chien a de plus à son péricarde, une anomalie du coeur et qui luit jusqu'à moi. Car lorsque l'on croit en un être qui croit à ce point en vous, lorsqu'une vie si estimable semble vous estimer, alors on glane, ébahi, de précieux motifs pour s'envisager comme quelqu'un d'à peu près valable. le jour où ce coeur culotté décidera qu'il est temps de flancher, j'ignore dans quel autre être d'os et de chair je pourrai retrouver le centième de cet éloge et le millième de cet élan, ce dont je suis certain, c'est qu'il faudra un second miracle."

L'auteur est constamment ébahi par l'instinct de son compagnon, sa connexion en tant qu'être vivant à la nature. Étonné de voir son chien dormir inhabituellement dehors, son maître comprend le lendemain matin lorsque les journaux titrent sur une secousse tellurique. La présence de son chien dans sa vie le ramène sans cesse à se reconnecter à ses propres sens, à ouvrir les yeux de façon plus attentive lors de ses randonnées et plus largement, à être plus présent à lui-même.
"Avant Ubac, je m'estimais seul dans les forêts et les montagnes, à mon retour, n'ayant pas vu d'homme, à qui voulait l'entendre je claironnais cette solitude. Seul au monde ! En réalité, m'a-t-il appris, des milliers d'êtres m'ont aperçu, examiné, laissé passer, et il s'est joué autour de moi bien des scènes entre résidents, à plume, à poil, à chlorophylle : des diplomaties, des luttes, des séductions, des retrouvailles, des assemblées, des cours d'école, des cérémonies, des tours de garde, des peurs et des joies, des naissances et des massacres, des fins et des débuts. J'étais indifférent à ces silences habités, Ubac m'a délivré quelques clefs pour les saisir un peu, promu d'un être inconscient à celui qui regarde puis voit. Il m'aide à lire ces histoires, il parle cette langue et m'indique comment m'y prendre pour que s'avive ce que je réduisais à un décor. Il suffit de s'immobiliser, de s'effacer, de réveiller ses sens et d'accepter la porosité ; c'est si simple d'être disponible que nous ne savons plus faire."

Aborder le récit d'une fraction de vie sous l'angle de la relation avec son chien, c'est aussi forcément effleurer une forme de gravité de la vie, dont nous prenons conscience, un jour ou l'autre, que nous ayons, ou pas, un chien à nos côtés. La vie, heureusement ce sont les grands bonheurs, les joies plus simples et non moins profondes, mais aussi les tracas, l'inquiétude, l'âge avançant la conscience de notre fin et celle des êtres aimés ; la conscience que les moments partagés sont précieux, car le tic-tac de l'horloge se fait de plus en plus pressant. Mais il n'empêche pas l'intensité des bonheurs, même quand l'âge de raison nous fait prendre conscience qu'en effet, ils ne sont pas éternels.
"Plus aucun vétérinaire ne nous dit qu'Ubac grandit, il vieillit. Heureusement, la vie comme un fleuve est une oscillation, et entre les peurs il y a ces zones où l'on va mieux, où l'on va bien, jusqu'à oublier et ne plus craindre. Heureusement, autour des affolements et qui s'acharnent à les taire, il y a les joies tranquilles, sublimées par ce que l'on sait désormais trop d'elles : leur fugacité."

Ceux qui auront déjà connu la tristesse de perdre un compagnon animal savent que ce chagrin ne se mesure pas au caractère humain de l'être perdu. L'auteur souligne très justement le chagrin de la perte, quelque soit l'être vivant qui nous manque : "Qui classe les raisons d'être en peine ?"

Je ne m'étendrai pas sur ce que nous, qui partageons nos vies avec un animal, redoutons tous. J'ai perdu comme tout à chacun des êtres chers, humains ou animaux. La peine de se quitter après des années de vie commune est infinie. Nos habitudes partagées à deux, vécues soudain seul, les bruits de cette présence constante soudain réduits au silence. Je n'ai jamais autant pleuré que pour un compagnon animal. Pourquoi ? Je ne saurais le dire. J'ai pourtant eu des deuils. Et les raisons de pleurer en regardant les informations sont nombreuses et graves.
Et pourtant je pleure mon animal comme je pleurais enfant, avec un coeur pur. Il n'y a pas de facheries avec un animal. On ne s'en veut pas pour des bêtises. Il n'y a pas de ressentiment. On s'aime tous deux inconditionnellement.

J'ai lu les dernières pages en pleurant, sans pouvoir me retenir. Il n'y a pas d'injonction à retenir ou cacher son chagrin pour son animal. Chaque fois que j'ai perdu un chat ou un chien, j'ai perdu un véritable ami. Les mots de Cédric Sapin-Defour m'ont touchée au coeur, se posant exactement sur ma peine. Mots qui, loin de jouer facilement sur une corde sensible, sont des bijoux d'amour ciselé. Dans sa peine apaisée, celle qui permet de sentir la présence de ceux qui nous ont quittés, l'auteur parvient à trouver cette image:
"L'enluminure, cet art d'orner les récits. D'un matériau moins clinquant que l'or, c'est cela que tu as fait et fais encore, par touches élégantes, tu embellis ma petite histoire. Notre vie commune mérite mieux que de lui trouver des mots qui font joli mais enlumineur te va si bien."

Il y a une grande justesse dans les mots qui peuplent ce récit. Parfois le style très poétique m'a pesé mais il a pris tout son sens et déployé toute sa finesse dans ces dernières pages qui touchent au coeur.

Et je garde au fond du mien ce magnifique passage: "Comment te dire… Si je ne le pouvais pas plus, je n'avais pas tout à fait fini de t'aimer".

#Sonodeuraprèslapluie #NetGalleyFrance
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