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Critique de afriqueah



Le titre , déjà, donne une idée du jeu subtil grammatical de Sony Labou Tansi, cité dans « de purs hommes » par Mohamed Mbougar Sarr, et encensé par Alain Mabanckou. Des mots nouveaux naissent, on les comprend, je vais en parsemer ce billet.
C'est une rumeur, dans un village au nom inventé divisé en deux parties ennemies, avec des noms propres plus espagnols que congolais. Non, plus lusophones-angolais qu'espagnols.
La rumeur nous appartient, nous savons des choses, nous devinons que Lorsa Lopez va tuer sa femme, et ça ne loupe pas, pourtant, nous avons tous jugé que le crime annoncé et perpétré, un vrai démasclage, pour ne pas dire carnage, reposait sur un incident futile, car quelques jours avant, ils s'embrassaient sous le nopal avec un air de nitouche.
Nous avons annoncé d'autres meurtres, les uns après les autres, en pensant que la police allait intervenir, pour mettre un peu d'ordre, mais non, figurez vous, elle est venue et repartie, sans que nous puissions comprendre pourquoi.
Alors Lorsa Lopez l'assassin attend, avec nous ; son perroquet n'arrête pas de rabâcher que sa femme lui avait communiqué des poux d'un autre homme….. jusqu'à ce que la justice intervienne et condamne après procès…. le perroquet , ça lui apprendra. (je ne peux m'empêcher de penser à Pastoureau : Une histoire symbolique du Moyen Age, où un cochon perd son procès ).
Il y a procès, mise à mort du perroquet, mais la police ne vient toujours pas.
Elle mettra quarante-sept ans à venir.
Pendant ce temps, les rumeurs, nos rumeurs enflent, nous rechampissont notre misère, alors l'une d'entre nous décide d'imposer à toutes la grève du sexe, et nous avons dû, comme des pélobates, obéir, elle nous a pignochés. Mais il faut savoir que « l'âge de la femme broutée est révolu, un homme n'a plus le droit de prendre ses femmes pour des objets ou des ustensiles de sexualisation ».
Cette grève ne va pas durer longtemps.
Car nos rumeurs recouvrent notre vérité et si nous nous appelons « commères » nous ne divulguons pas des potins, des ragots de bas étage. Nous savons, c'est différent. Parfois nous nous trompons de plusieurs années dans ce que nous affirmons, peu importe, autour de nous, une société s'est identifiée, et nous luttons tout de même contre le pouvoir, le maire qui tremble pour sa nomination et qui pitoyablement essaie, à chaque venue de l'extérieur d'escamoter les os de la première défunte, qui n'a pas pu être enterrée avant que la police n'arrive, la fameuse police, parlons-en, et le juge, pas tripette.
Subversives, nous sommes, nous les commères.

Notre choeur de rumeurs prédictives finit par nous donner tous les pouvoirs, y compris d'assassiner la vérité. « Nous lui enfonçons toute la lame de notre impuissance. Mais elle nous montre ses dents et sa limpidité, Noua agissons comme si nous étions capables de négocier notre destin. »


Mélange de poésie pure, d'humour ubuesque, de réflexion sur ce que sont et la rumeur et la honte qu'elle déclenche, de changement de perspective quant au centre du monde, comme la capitale qui doit être « décapitalisée » et transportée ailleurs, de chiffres : les 59 épouses de Sarngata Nola, qui elles ne font pas la grève du sexe , le pauvre ! , les sept décapitalisations , le changement 872 ieme fois des restes de la pauvre Estina Benta, les 800 Blancs dans l'ile des Solitudes, les 47 ans d'attente de la police et les sept solitudes de l'assassin, celle de chaque jour, en attente de jugement, pendant tant d' années.

« C'est que, nous dit Sony Labou Tamsi, être poète, de nos jours, c'est vouloir de toutes ses forces, de toute son âme et de toute sa chair, face aux fusils, face à l'argent qui lui aussi devient un fusil, et surtout face à la vérité reçue sur laquelle nous, poètes, avons une autorisation de pisser, qu'aucun visage de la réalité humaine ne soit poussé sous le silence de l'Histoire. »

LC Thématique juillet : un prénom dans le titre
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