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Critique de 4bis


Jean-Paul, il faut bien le dire, tu m'as un peu déçue. Certes ce n'est pas fair-play d'attaquer bille en tête par un tutoiement et des reproches mais j'ai tellement aimé La succession et la manière dont ton Paul s'y était livré que je considère que tu es un proche et que j'ai certains droits à te dire tes quatre vérités. Par ailleurs, et sans verser dans le suspect et sadique « Qui aime bien châtie bien », il faut considérer cette déception depuis la hauteur des exigences où je place ceux qui j'aime bien. Oui, au sommet. Depuis la cime où les premières lignes de ton dernier roman m'avaient envoyée aussi d'ailleurs.

Car ça commençait très bien. Dans les premiers chapitres, l'exposition de la situation abracadabrante que tu nous avais concoctée aurait bien occupé tous mes neurones si tu n'avais pas, en plus, semé d'autres indices visant à capter mon attention vers d'autres pistes tout aussi palpitantes et déconcertantes.

Mais procédons avec ordre. La situation initiale est la suivante : Paul (ça alors !), quinquagénaire est entendu par la police pour avoir tiré deux balles dans la cervelle de son père, lequel, décédé depuis quinze jours, reposait depuis à la morgue. L'absurdité de tuer un cadavre, voilà déjà de quoi nous occuper gentiment. Mais il y aura mieux et pire.

Sous couvert de nous livrer une confession sans fard, Paul va nous parler de ce père dont il a trucidé le corps sans vie. Il nous dira notamment son habitude « d'installer le tangage initial », d'instaurer un malaise relationnel dès la première rencontre à l'aide d'une phrase sans aucun rapport avec le contexte et les attentes qu'il porte. le but de cette manoeuvre ? le père de Paul le confesse fièrement : « Quand je démarre ainsi un entretien, je sais que durant toute la conversation l'esprit du type que j'ai en face sera parasité par ce que je lui ai dit au tout début. (…) c'est comme ça que je rentre dans sa tête. » Ok, un père manipulateur, intrusif et redoutable d'intelligence tactique. Ca ira justifier les pruneaux dans la boîte crânienne du macchabé.

Sauf que, tu nous apprends ensuite que le procureur qui recevra Paul après l'interrogatoire nécessaire à la constitution du dossier d'instruction « essaye de vous embrouiller la tête dès le début » afin d'intimider ses interlocuteurs lui aussi. Bien. Les catégories et les rôles ne sont pas plus tôt posés qu'aussitôt chahutés par des tangages improbables mais néanmoins malicieusement exhibés. Ah Jean-Paul, toi tu sais comment me faire kiffer !

A ce petit jeu des forces en présence, double trouble évidant les certitudes, tu ajoutes des formules d'une exactitude confondante comme lorsque tu parles du « tissu profond de ma réalité » qui suit de peu l'intrusion incontestablement traumatique de ce pauvre canari offert à Paul par son père à ses six ans. Sidération du lecteur qui vient de se prendre un direct du gauche canariesque avant de recevoir cette tournure en forme d'uppercut. KO, le lecteur.

Et puis, pour faire bonne mesure, tu ajoutes un climat apocalyptique, un temps si diluvien qu'il faudrait être obtus pour refuser de creuser une interprétation biblique à ce parricide post mortem. Allons-y donc et chargeons la barque de purification par les eaux, de châtiment, de nouvelle alliance, après tout, avec tout ce qu'on embarque déjà, pourquoi pas ça aussi ?

Ce qui nous fait au final, et après pas 40 pages, une sacrée pelote de fils à tenir, un nombre colossal d'interprétations en attente de validation. Ou d'occasions de ne plus être très sûr de ses bases. Oh, toi !

Bref, tu m'as baladée, chahutée, séduite, emberlificotée dans la toile dense de tes fils narratifs, symboliques. Les oreilles remuant en rythme, j'ai couru chercher tous les bâtons que je croyais te voir m'envoyer, ai ramené les leurres que j'ai fièrement décelés, ai jappé de bonheur à voir cette complicité entre toi et moi que tu investissais avec tant de brio. Watson, c'est moi ! Et pourtant, je n'aime pas les chiens, c'est dire si t'es fort et l'effet que tu m'as fait.

(Watson, dans L'origine des larmes, c'est le chien dont l'existence est moins avérée que ses effets. Chien que Paul retrouve peut-être en rêve, peut-être en vrai sur les plages d'Hendaye. le seul être vivant, enfin réel au moins, qui lui apporte la joie d'une relation épanouie. C'est aussi le chien de la Succession. Mais tu es coutumier, parait-il, cher Jean-Paul, de laisser égarer des figures récurrentes dans tes différents romans. C'aurait pu être pire, une tondeuse ou un avion d'après ce que j'ai retenu.)

Bref… pour ceux qu'intéresse le roman en lui-même, il faut savoir qu'un juge aura accepté de condamner notre Paul à une obligation de soins d'un an et que les chapitres suivant rendront compte de ce qui n'est pas une thérapie mais réunira un peu plus de douze fois Paul et le psychiatre Frédéric Guzman, l'homme qui, comme son homonyme, « rend lumineux tous les sentiers » (Rhô, JP, t'exagères, pas moyen d'être juste premier degré avec toi, hein !).

Ce dispositif sera le support d'une confession et révèlera les principaux éléments biographiques ayant, plus ou moins conduits à cet assassinat d'un mort. Une mère morte en couches. Un frère jumeau lui aussi décédé, faisant du jour de sa naissance le jour de sa mort et laissant quelques lacunes dans la vie de Paul. Une mère adoptive parfaitement idéale et un père monstrueux, diabolique, sadique et tout puissant. du pain bénit pour un psychanalyste ou je ne m'y connais pas !

Alors, alors, où le bât blesse-t-il au point que, malgré les jappements et les louanges que je t'adresse depuis le début de ce billet, ce soit sous le signe de la déception que je l'aie amorcé ?

Eh bien c'est que, passé ce feu d'artifice initial, j'ai pas trouvé que tu te sois des masses foulé. Et que, à mon sens, ce ne sont plus des points communs, mais carrément une redite de la Succession que tu nous as jouée, là. On a remplacé la pelote basque par les housses mortuaires et leur environnement marketing, la Norvège et ses lunde par la Suède et une Intelligence Artificielle mais, mis à part ces minuscules décalages, on est exactement dans le même schéma.

Alors, d'une part ça fait redite (et pas de bol, La Succession, je l'ai lu y a pas trois semaines, forcément c'est encore assez frais pour que le livre n'ait pas été absorbé par les trous de mes chenilles processionnaires aka hespérophanes domestiques). D'autre part, et c'est là où je trouve, sauf le respect que je te dois, que tu fais un peu du sur place, c'est que si le dispositif de la Succession tenait sur le principe d'un tragique digne de la Grèce antique, là, tu as introduit un psychiatre et partant, une possibilité d'élaboration et de soin. Dont tu ne fais rien !

Enfin si, on se marre bien à voir l'hypocondrie de Guzman s'harnacher de Dacryoserum, puis de masque, puis de gants (noli me tangere ?), à surprendre ce brave Paul remettre les entretiens sur rail et proposer une interprétation des motivations du psychiatre à telle ou telle entorse.

Donc on se marre. Mais on n'avance pas. L'obligation de soins est prétexte à l'exhibition d'un récit qui n'est pas ré-élaboré dans la relation avec le médecin. C'est juste posé là et sans aucune influence sur le cours des événements faisant suite à tant de malheurs. C'est construit de tout temps et parfaitement inaccessible.

Alors de deux choses l'une, soit la psychiatrie est un leurre dont on se moque et c'est une impasse que tu as voulu dénoncer. Mais alors on retombe sur notre conclusion de la Succession : la liberté individuelle n'existe pas et quand on a eu la cervelle vérolée par un monstre, y a plus qu'à riposter par un talion inutile et tirer sa révérence. Face au tragique, la médecine peut aller se rhabiller, elle ne fait pas le poids. Mais alors à quoi bon réécrire autrement ce que tu avais déjà dit ?

Soit tu as calé et, après un démarrage en fanfare, tu t'es contenté de recycler une recette éprouvée. Ce qui n'est pas à la mesure de ton talent.

Car tu es ce type capable de nous proposer une appréhension prosaïque et familière de l'abyssal tragique de l'existence. Tu ne mens sur rien, pas plus sur la gravité des séquelles que sur la monstruosité de personnalités abjectes. Mais, avec toi, aussi irrévocables qu'en soient les conséquences, il n'y a pas lieu d'en faire un plat et de se répandre. Il n'y a pas lieu d'hystériser pour en avoir peur en plus. C'est bien assez terrifiant comme cela sans en plus en faire des caisses. Et c'est cette cohabitation ordinaire et connue avec le désastre que tu sais si bien rendre. Là où d'autres auraient joué de l'inquiétante étrangeté et se seraient effarouchés d'un rideau dont la pénombre entretenue aurait fait un spectre, toi tu chemines avec la mort, jongles avec les vrais ossements, ceux qui ont fait ce « travail d'archivage » et contiennent, aussi vrai que je t'écris, ta « détresse archaïque ». Rien que pour cela, te voilà du côté de mes écrivains de coeur, de Beckett, d'Houellebecq, je te l'ai déjà dit, je crois.

Alors dis-moi, quand on a ce souffle, cette puissance d'évocation qui ne se la joue pas, cette capacité à convoquer tant d'échos et de signes, peut-on vraiment se contenter de tourner en rond et d'offrir la même impasse dans deux de ses livres ? Allez Jean-Paul, ne lâchons rien et cherchons encore ! Je crois en toi, moi !

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Ps. C'est un peu cruel de taxer un auteur de se répéter quand on n'a lu que deux de ses ouvrages. Et je me demande forcément si tous les autres titres font de même, ce que je ne veux pas croire. Alors, vous qui êtes fans de JP Dubois et qui avez tout lu de lui, qu'en dites-vous ? Pouvez-vous me recommander un autre titre qui échappe à cette trame-ci ?
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