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Critique de Merik


Le plus américain des auteurs français nous livre une sorte d'anti-Portnoy sous la forme de confessions à un psy d'un homme pas vraiment obsédé sexuel comme le personnage de Roth, mais plutôt un homme futuriste et anesthésié du désir, un anonyme du sexe qui bavarde de préférence avec une intelligence artificielle dénommée U.No. C'est la justice qui l'oblige à ouvrir la porte à l'interaction thérapeutique – en l'occurrence un psychiatre malade de son oeil qui pleure sans cesse, car Paul avait essayé sa propre voie de guérison : tuer le père, deux fois plutôt qu'une, lui mettre deux balles dans la tête. Un meurtre qui n'en est pas tout à fait un, une sorte de nouveau crime parfait, sûrement pour se libérer et sans le savoir désamorcer la peine ferme, étant donné qu'aux yeux de la justice Paul avait connaissance de l'état préalable de cadavre du père à la morgue, avant de l'occire à nouveau.
Un Paul. Un de plus pourrait-on croire. Mais à l'allure peut-être plus allégorique cette fois. On est en 2031 du côté de Toulouse, les crues bouillonnantes de la Garonne ont succédé à la sècheresse, et Paul Le narrateur connaît l'origine de ses larmes dans la pluie qui tombe à verse, à moins que ça soit plus simplement l'humanité qui pleure. Une hypermnésie inexpliquée de sa naissance lui fait savoir depuis toujours qu'il est né avec un trou en lui en ce 20 février 1980 (30 ans après l'auteur), en ayant perdu par la même occasion son frère jumeau et sa mère. Une vie en échange de deux autres. Pas vraiment étonnant qu'il ait eu besoin 51 ans plus tard de faire des trous dans la tête de son géniteur pervers, celui-là même qui lui offrit pour son sixième anniversaire un canari dont il avait arraché la tête avec ses dents. En plus de la pluie, c'est bien la mort qui trainera ainsi ses guêtres au fil de cette légère dystopie toulousaine, elle s'inscrit en lignée funeste dans la vie de Paul : « Dans notre famille, et dans l'entreprise Stramentum qu'elle dirige, il faut bien convenir que la mort est sans conteste notre égérie, notre actionnaire principale, que je suis le fade héritier de cette firme macabre et très certainement, aussi, le continuateur de la sombre génétique qui l'inspire. »

Jean-Paul Dubois est connu pour ses habitudes – notamment ses personnages de Paul, les tondeuses, les chiens ou les voitures, le fait d'écrire ses romans en un mois – il se reconnaît entre mille dans son art de planter un décor saugrenu pour dérouler le fil d'une prose savoureuse, désenchantée, ironique. Les habitués pourront être surpris ici avec cet écart à peine futuriste qui flaire notre société pour visiter la solitude, la névrose, la perversion ou la crise écologique, mais ils retrouveront leur Paul, pas tout à fait comme les autres, qui semble mêler ses larmes à la pluie incessante d'un dérèglement généralisé. Tout cela rythmé par les sessions mensuelles avec le psy, et l'occasion pour l'auteur de greffer à la vie de Paul nombre de sujets et de réflexions parfois érudites, comme un état de sa mémoire activée par son travail ramassé sur un mois.
Voilà en tout les cas le nième roman d'un auteur toujours en forme qui continue de se renouveler en se réécrivant, un roman profond, noir et beau, à la drôlerie sous-jacente. Un de plus...
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