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Critique de Michel69004


Du Réel.

Jean-Paul Dubois fait partie de ces auteurs dont j'ai lu tous les ouvrages et dont j'ai tout aimé. Ou presque. Il y a « Hommes entre eux », par exemple, qui rentre dans ce que j'appelle pompeusement les périodes « off ».
L'Origines des larmes en fait indéniablement partie.
Je tiens à présenter par avance mes excuses pour le ton pompeux, légèrement ampoulé de ce petit billet sur lequel le nouveau style de mon cher auteur a déteint.
Je ne m'y attendais pas, il m'a pris par surprise. Il faut parfois un peu de temps pour rentrer dans un Dubois. Mais tout de même, là il a fallu de je retrouve mon Dictionnaire des mots rares et précieux !! Jugez vous-même:
Chancissure, cryptogamique, controuvé, ergastule, érubescence, aristarque, épiphora, conjonctivochalasis, baltique, péricaryon, tronies, empyreume, enbata, galerne, acide ursodésoxycholique etc.
Voilà par exemple pour les mots. Mais il faut aussi compter sur l'érudition des références :
Samuel Taylor Coleridge, Thomas a Kempis (connu pour un livre surprenant intitulé L'Imitation de Jésus-Christ) , Arnaud d'Amaury, Salomon van Ruysdael (peintre flamand du fameux Après la pluie) , Dag Hammarskjöld, Bo Besko, Kim Tschang-Yeul (l'homme qui peint des gouttes d'eau et dont le musée est sur l'île de Jeju, au sud de la Corée du Sud, où j'ai eu la chance d'aller) et tout est à l'avenant.

Et si c'est pour le moins déconcertant, il faut dire qu'on s'y fait rapidement en épousant la personnalité de notre anti-héros, Paul Sorensen.
Vous le savez peut-être, il y a des récurrences dans l'oeuvre de Dubois : les personnages principaux se nomment Paul ou Jean-Paul, on y rencontre des chiens et des avions et même assez souvent des tondeuses à gazon…

Paul est né en 1980. Sa mère et son jumeau n'ont pas survécu à sa naissance. Il a été élevé à…Toulouse (évidemment!) par le pervers, l'odieux, l'abominable Lanski, son géniteur. Mais aussi par l'aimable Rebecca, sa mère adoptive. Marta, la mère biologique, lui lègue ...son patronyme.
L'action se déroule en 2031. Après une longue période de sécheresse, il pleut continuellement depuis deux ans. Paul a repris l'entreprise de Rebecca à la mort de celle-ci et vend des housses mortuaires très haut de gamme. L'entreprise, Stamentum, se porte à merveille en ces périodes troubles.
Mais voilà, Paul est jugé pour avoir tiré deux balles dans la tête de son père déjà mort et gisant à la morgue.
Il sera condamné à une obligation de soins : pendant un an, il devra être suivi par un psychiatre pour cet étrange parricide.
L'action (si l'on peut dire, il ne se passe pas grand chose…) peut se dérouler tranquillement .
Au fil des quatorze séances, Paul va se confier plus ou moins aimablement au Dr Frédéric Guzman qui souffre, lui, d'un sévère épiphora : son oeil droit pleure, pleure sans arrêt.

Ce livre est une réflexion puissante et, comme toujours chez l'auteur, drôle et désabusée, sur…l'origine des larmes.
Il y aura beaucoup d'eau, on y parlera beaucoup de la mort mais le vrai sujet est ailleurs, bien sûr. Ce livre est une aimable dissertation sur le réel. Mine de rien. Aux détours de toutes ces histoires d'intelligence artificielle, de maladies à prions, de photos de jouets et de l'incroyable chien Watson. L'épisode le concernant est un petit morceau d'anthologie, extrêmement drôle, sans doute le meilleur moment du livre.
Il y sera beaucoup question de Nom du Père à partir de l'abominable Thomas Lanski à la fois omniprésent et forclos, doublement forclos, on le comprendra lors de ces fameuses séances. La relation qui va s'installer entre Guzman et Paul aura de quoi surprendre !
Je disais donc le réel ou le Réel, comme vous voudrez, qui fait dire à Paul, retournant l'aphorisme : « Pourquoi y-a t'il Rien plutôt que quelque chose ? »

Je ressors songeur de ce livre mélancolique, vous laissant mes impressions à chaud. S'il n'a rien à voir avec « Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon » qui lui a valu le Goncourt 2019, ce n'est pas pour autan un livre d'intello. Un peu quand même. Disons d'intello semi-dépressif alors. Mais parfaitement abordable, dès lors qu'on aura compris qu'il s'agit de second degré !

Mais bon, ne boudons pas notre plaisir!
Dubois tisse une oeuvre aussi déroutante que passionnante, en dehors des chemins battus, et bientôt en alerte submersion permanente…

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