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Critique de berni_29


Love story à l'iranienne, c'est un magnifique roman graphique en immersion auprès de la jeunesse iranienne d'aujourd'hui. Les deux auteurs, Jane Deuxard au texte et Deloupy au dessin, donnent ici voix de manière clandestine à de jeunes iraniens, par le recueil de leur témoignages.
Le sujet de cette BD, façon reportage, est de parler d'amour, sujet vaste, inspirant et excitant, surtout lorsqu'on est dans un pays libre, mais voilà nous sommes en Iran, le propos là-bas est un peu plus compliqué à aborder, vous l'imaginez...
Nos deux auteurs ont tout d'abord dû feindre le couple parfait, marié et tutti quanti.
Leur investigation les amène dans un voyage à travers l'Iran, Téréhan, mais d'autres villes aussi comme Ispahan, Shiraz, Yazd... Des noms qui pourraient faire rêver. Ici le rêve est un rêve de liberté, presque impossible à imaginer désormais...
Nos investigateurs découvrent rapidement l'état des lieux et la manière dont leurs protagonistes y font face :
« La loi et les familles veillent à ce que les hommes et femmes ne se fréquentent pas dans l'espace public s'ils ne sont pas mariés ou liés par des liens de parenté. »
Grâce à la confiance et l'empathie, ils vont rencontrer quelques personnes représentatives de la jeunesse iranienne. Ils ont entre vingt et trente ans. Ils s'appellent Gila, Mila, Saviosh, Vahid, Kimia, Zeinab, Omid, Ashem, Nima, Saeedeh, Soban, Jamileh, Leïla.
Des femmes, des hommes... Certains jeunes hommes reconnaissent la situation difficile, la déplorent, d'autres feignent de l'ignorer.
De jeunes femmes mariées témoignent aussi.
De jeunes femmes divorcées aussi pour lesquelles c'est la double peine : être femme dans une république islamique et être considérée comme trainée...
Forcément, ce sont des témoignages glanés dans la clandestinité.
Privés de liberté, les jeunes avouent ruser d'astuces pour exprimer leur amour, mais cela ne peut être à ciel ouvert. le ciel ouvert, l'espace public, est dédié à ce qui est uniquement autorisé : la prière, le voile, être en couple seulement si on est uni par les liens indéfectibles du mariage...
S'aimer et le témoigner par les gestes devient alors, par-delà les ruses d'ingéniosité, un véritable acte de résistance autant face à sa famille que devant le pouvoir religieux en place.
On pourrait naïvement penser que s'aimer clandestinement ne doit pas être trop compliqué, une chambre d'hôtel, un coin de nature un peu à l'extérieur, éloigné de toute fréquentation... Mais voilà, les choses sont un peu plus compliquées :
« Les relations sexuelles avant le mariage sont officiellement interdites. Les belles-familles n'hésitent pas à réclamer un certificat de virginité si elles le souhaitent.
C'est le témoignage d'une société brutale, qui verrouille tout, renvoyant un pays pourtant bien présent dans le XXIème siècle à l'obscurantisme le plus arriéré des temps anciens. Et encore, certains temps anciens, si je vous en parlais... mais bon, c'est un autre sujet...
Privée de liberté la jeunesse iranienne l'est absolument. Mais d'amour, point !
Ici le pouvoir entend par tous les moyens contrôler le territoire intime de celles et ceux qui s'aiment : leurs sentiments, leurs regards, leurs gestes, leurs peaux, leurs corps, leurs battements d'ailes... Tout est fait pour dissuader la transgression, se cantonner dans la norme.
Parfois il y a aussi des dénonciations, c'est à cela qu'on reconnaît aussi les dictatures bien installées.
Le découragement, la sensation d'être prise au piège, l'envie honteuse de vouloir parfois ne plus vivre... La parole de certaines jeunes femmes est terrible.
C'est ici l'aveu d'un bonheur interdit.
Les patrouilles de police sont omniprésentes.
Mais parler, c'est aussi se sentir moins seul...
Les jeunes iraniens ont des rêves échevelés, mais n'osent même plus les imaginer.
Le roman graphique évoque en filigrane le soulèvement de la jeunesse en 2009 et la réélection contestée d'Ahmadinejad qui avait entraîné la « révolution verte » avortée dans l'oeuf.
La république islamique contrôle tout, même les réseaux sociaux.
Souvent, ces jeunes ont des rapports sexuels, mais pas complets pour ne pas menacer l'intégrité de la jeune femme... Je vous ai dit, c'est une société qui contrôle tout, même l'hymen des jeunes femmes...
Certains font l'amour quand même, bravant les interdits, parfois excités par le seul risque qu'ils prennent. S'aimer sans entrave, n'est-ce pas le plus bel acte de résistance face à la barbarie ?
Souvent, le seul espace privé est la chambre d'hôtel, se cacher comme des amants infidèles...
Parfois les jeunes femmes n'ont personne à qui se confier... Nous sentons cette parole salutaire.
Le propos est servi par un dessin où le trait est parfois décalé pour servir l'absurdité des situations vécues par les protagonistes, nous voyons des monstres se déployer, un oeil gigantesque qui contrôle tout, la mère d'une des personnes interviewées transfigurées en hydre de Lerne, autant de têtes pour tout surveiller, tout contrôler... Mais je trouve géniale l'image, car ce sont autant de têtes à couper, comme l'un des travaux d'Hercule...
Et pendant ce temps-là les mollahs vont à Dubaï réaliser leur fantasmes avec des prostituées...
J'ai appris ici que, parfois, certaines jeunes femmes qui ont eu des relations sexuelles avant le mariage se font reconstruire l'hymen.
Parfois l'une des jeunes femmes interviewées reconnaît : « le problème, c'est la tradition, bien plus que le régime ». On pourrait s'étonner de ce propos. J'ai compris plus tard ce que la jeune femme voulait dire... La révolution islamique de 1979 est venue sur un terreau propice et les parents de cette jeunesse ont été des activistes de cette révolution, espérant un monde meilleur, un renouveau... Cependant ils n'imaginaient pas ce que ce régime produirait...
Aujourd'hui, c'est la désillusion. La jeunesse en veut autant à leurs familles attachées à la tradition qu'au régime islamique.
J'ai beaucoup aimé cette bande dessinée, son sujet, son dessin et son dessein, on pourrait croire à mon propos que la situation est désespérée. L'une des dernières planches offre toutefois un espoir : la jeunesse, indiquant que les mollahs ont besoin de la jeunesse pour survivre... Terrible cohabitation à défaut d'harmonie... ! Et puis parfois il y a des printemps révolutionnaires... À condition que cette jeunesse qui se dit désespérée en amour décide une bonne fois pour toutes de renverser ces crétins de dictateurs à soutane qui s'envoient en l'air à Dubaï... Ils en ont la force, il leur manque juste... (pardon j'allais dire un mot, un cri du coeur, mais qui aurait peut-être choqué)... encore le désir... Il faut peut-être juste renverser Papa et Maman tout d'abord...
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