Annoncer à son entourage un cancer alors qu'il n'en est rien, c'est peut-être pas une super idée malgré l'intention louable du narrateur de remettre son couple sur les bons rails et d'en profiter pour écrire un roman. C'est en tout cas une bonne idée pour le départ de celui-ci, à la teneur loufoque, sarcastique et drôle. Paloma De Boismorel réussit un personnage insolite en la personne de Pierre-Antoine – un cousin éloigné ou pas de la famille des Paul de Dubois, fondu dans un narrateur un brin dépressif, un brin sentimental, un brin hypocondriaque, un brin désenchanté dans son couple à la dérive et un monde aux couches de superficialité égocentrée qui le laissent sur le bord. Mais il suffirait peut-être de se pencher sur son pedigree et la raison de son prénom composé pour mieux cerner l'origine du phénomène Pierre-Antoine :
« – Ton père détestait le prénom Antoine et moi je détestais Pierre. C'est dingue mais c'est comme ça, nous n'avons jamais été d'accord sur rien. »
Les premiers romans sont parfois marqués par une idée originale et percutante, ici un cancer mensonger, on peut aussi penser à La moustache, La salle de bain. Mais la dynamique de départ peut vite s'essouffler et s'enliser. Il n'en est rien avec la journaliste qui a trouvé le bon rythme pour son premier roman, en visitant les arcanes de l'art contemporain pour griffer ses prétentions et profiler son ridicule, en explorant les tergiversations du romancier en devenir et en proie aux affres de l'inspiration, en mordant sur le couple et la vie familiale. On rigole, on pouffe, on s'esclaffe, on s'émerveille des trouvailles éloquentes de son écriture inventive, bien sentie et maîtrisée, aux dialogues incisifs.
À lire, et pas que pour rire !
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« La nuque scellée dans l'oreiller, les coudes et les talons vissés dans le matelas, j'attendais que le sommeil vienne me délivrer de toute cette foutue angoisse qu'on appelle par euphémisme la ‘nuit' » (Incipit). ● Pierre-Antoine Deltière est un célèbre architecte, prix de Rome, au service des stars et des ultra-riches. Il a son propre cabinet, avec son associé Christophe / Christian. Il est marié à Betty, qui a une galerie d'art contemporain. Ils ont trois enfants, Thomas, Clémence et Hubert, mais le couple bat de l'aile et les enfants ne communiquent presque plus avec leur père. Insomniaque, Pierre-Antoine a des gratouillis dans la gorge et est persuadé d'avoir un cancer du larynx. Quand un médecin lui démontre qu'il ne souffre que d'une allergie, il décide de faire croire à sa famille qu'il a bien un cancer, afin de relancer l'intérêt qu'on lui porte et de se ménager un espace pour écrire un roman. ● le début, et toute la première moitié, sont formidables. C'est très drôle, et l'humour est serti dans un style magnifique et original. On se régale. ● Malheureusement, l'autrice ne tient pas la distance, et la dynamique s'enlise dans la seconde moitié ; je pense que le roman est trop long pour la matière qu'il contient ; avec cent pages de moins il aurait été bien meilleur. La situation initiale, que j'ai résumée ci-dessus, n'évolue presque pas ; pour qu'il tienne seulement par son style et son humour, il fallait un roman très bref. ● L'architecture et l'art contemporains en prennent pour leur grade ; c'est très souvent très bien vu. « Il me suffisait de côtoyer certains des énergumènes qu'exposait Betty pour trouver que la légitimité de l'art à nous donner des leçons ou nous faire penser ceci ou cela était douteuse. Les artistes étaient des victimes comme les autres. Surtout quand ils se contentaient d'exploiter leur colère. […] L''arengagé', répétait-elle comme pour justifier la méchanceté et la mocheté des oeuvres qui s'étalaient dans sa galerie. » ● La dimension « méta » du texte est très souvent réjouissante, en forme parfois d'autocritique : « À quoi bon être capable de décrire un par un les grains de poussière de cet hôpital si je n'avais pas de sujet, ni d'histoire à raconter ? […] Certains auteurs du Nouveau Roman s'étaient débarrassés de la notion d'histoire mais je n'avais pas les épaules pour assumer une telle décision. » ● le pitch du livre ? « Machin est tombé amoureux de Machine qui ne l'aime plus. » C'est du Barthes revisité ! ● le narrateur se demande : « Qui était donc le romancier paresseux qui racontait ma vie ? ». ● Pourquoi écrire ? « Je réfléchis à cet incompréhensible besoin que j'avais d'écrire. Pourquoi un roman ? Ma vie aurait pu se suffire à elle-même, pourquoi y ajouter les complications d'une fiction ? » ● On peut regretter que certains personnages changent de nom en cours de route, comme l'associé de Pierre-Antoine, qui s'appelle d'abord Christophe puis Christian, ou encore ces personnages secondaires qui se nomment d'abord Copper puis Cooper. Je me demande encore une fois ce que font les correcteurs… ● En conclusion, ce premier roman est une semi-réussite qui laisse présager de bons livres à l'avenir, c'est une autrice à suivre.
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Pierre-Antoine est architecte. Il a 3 enfants et une femme, galeriste.
Un mal de gorge persistant le fait aller consulter un médecin. Il en ressort avec un diagnostic d'allergie aux cyprès. Pour Pierre-Antoine, c'est une grande désillusion. Lui qui pensait avoir au moins un cancer ne valide pas du tout ce diagnostic bien trop commun. Il va donc s'inventer un cancer incurable à la gorge. Mais les gens à qui il va l'annoncer vont soit avoir du mal à le croire soit ne vraiment pas en mesurer la gravité.
Mais Pierre-Antoine va tenir bon dans son mensonge. Ce cancer va même lui permettre d'écrire enfin ce livre qu'il a tant envie d'écrire.
Avec une écriture incisive et sacrément drôle par moment, l'auteure nous dépeint la vie de Pierre-Antoine. Mais cette vie, en est-il vraiment acteur? Il en semble plutôt absent.... Il connaît à peine ses 3 enfants, il ne se sent pas aimé par sa femme. L'annonce de sa mort future n'y change rien. Quelle tristesse!
J'ai eu beaucoup de peine pour Pierre-Antoine dans beaucoup de moments de ce roman! Mais qu'est-ce qu'il m'a fait rire aussi!
Une très belle découverte!
Merci à Version Femina et aux Éditions de l'Olivier pour l'envoi de ce livre.
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« "La vie est un rêve, c'est le réveil qui nous tue." J'avais toujours été impressionné par cette phrase de Virginia Woolf à laquelle je ne comprenais pas grand-chose. Qui donc aurait osé contredire Virginia Woolf? »
Aujourd'hui, Pierre-Antoine se réveille. Pas d'une nuit de sommeil, non, d'une vie de sommeil. Comprenez que pour lui, cette révélation existentielle est une pilule bien difficile à avaler. D'autant que ce matin, Pierre-Antoine a très mal à la gorge.
Le constat est terne comme un chat gris : père de trois enfants qu'il connait à peine, mari "mal aimé", architecte désabusé, Pierre-Antoine est un homme cafardeux. Un homme absent. Une espèce de Saul Karoo au cynisme toutefois bien plus joyeux que son homologue américain, quoique extrêmement exubérant, et malgré un égoïsme feutré, cet homme est terriblement attachant. Alors qu'il consulte son médecin pour son inquiétant mal de gorge, il ressort penaud du cabinet avec un diagnostic bien trop mou à son goût : une allergie au cyprès. Quelle déception! Quelle blague! Lui qui aurait au moins voulu avoir un cancer, tant il s'est auto-persuadé qu'annoncer sa mort prochaine pourrait avoir l'effet d'un électrochoc sur ses proches.
« La véritable tragédie, c'était de constater à quel point j'étais passé à côté de ceux que j'aimais pour imaginer un seul instant que la maladie allait les faire accourir plein de regrets et de tendresse.
Quelle vie avais-je mené pour croire que la mort allait tout me restituer? »
Pierre-Antoine décide alors de jouer son va-tout en annonçant à qui veut bien l'entendre (ou le croire) qu'il souffre d'un incurable cancer de la gorge. C'est qu'il est déterminé à écrire sa propre légende, le p'tit père l'embrouille, avec cette mise en scène lamentable. Légende qui aura la forme d'un roman. Un chef-d’œuvre posthume qui éclairera enfin sa vie. Sa grande "Autobiographie d'un homme absent". Le projet est en marche. Il n'y a plus qu'à.
"Comment prétendre mourir d'un cancer et manger autant de pains au chocolat?"
J'ai ri. Beaucoup, et bruyamment.
Le premier roman de Paloma de Boismorel est un régal.
Je n'avais pas autant ri depuis “Karoo” de Steve Tesich.
L'écriture de Paloma de Boismorel fuse à 1000 à l'heure, on se croirait propulsé au milieu d'une tempête d'astéroïdes de répliques cinglantes, de traits d'esprits, et des meilleurs memes d'Internet. La langue est d'une incroyable richesse, pleine de trouvailles, sans cesse surprenante, rappelant parfois les meilleurs dialogues d'Edgar Hilsenrath:
« - Vous êtes plutôt huîtres ou foie gras?
- Les deux, en commençant par les huîtres.
- Une raison d'être heureux?
- Les huîtres et le foie gras.
- Très bonne réponse. »
“La Fin du sommeil” est loin de n'être qu'une comédie absurde, ça pourrait également être une espèce de manifeste contre les excès du développement personnel, contre la pollution sonore et le nombrilisme, contre les diktats de notre société qui stipuleraient que chacun.e doit avoir un avis sur tout et le partager à n'importe qui. Ce livre est beaucoup de choses, il est très fouillé, avec des personnages qui me manquent déjà : Pierre-Antoine, évidemment, et ses sablés au citron ; sa mère, exécrable et qui mène une guerre nucléaire contre les taupes de son jardin ; Betty, qu'on découvre peu à peu ; Thomas et son innocence si chou ; et bien sûr bern1970@gmail.com. Ce livre n'est pas juste une comédie de plus, ce n'est pas un divertissement creux, c'est aussi une réflexion ô combien intéressante sur le processus d'écriture, mais tout de même... vous ai-je dit A QUEL POINT J'AI RI? Demandez à ma coloc'!
"Le destin n'a rien à voir avec le gluten."
La vivacité intellectuelle déployée tout au long de ces 281 pages est tout à fait bluffante, indomptable, imprévisible.
Je n'ai plus qu'une chose à dire : Chapeau bas. C'est une réussite détonante.
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Le premier roman que je lis en quelques années, j’ai été bluffé par la facilité avec laquelle ce livre ce lit tout en étant très bien écrit. J’ai beaucoup aimé l’humour et la perspective sur la vie et la famille.
Et biensûr l’art contemporain… on a l’impression d’y être et comme le reste du livre on est vraiment transporté dans cette petite bulle d’un quotidien tellement humain.
A lire !
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Pierre Antoine est architecte. Il a deux enfants avec lesquels il ne communique plus et une épouse qui l'évite. Une nuit d'insomnie, il a une révélation. Suite à cela il voit la réalité, comme si le voile terne qui recouvrait sa vie, son quotidien, sa famille s'était déchiré. Tout lui apparait plus clair, plus lumineux, les taches de rousseur sur le visage de sa fille qu'il n'avait jusqu'alors jamais remarqué, l'éclairage de la cuisine, le sourire-rictus que lui adresse sa femme… D'un mal de gorge dû à une banale allergie il en fait un cancer à un stade avancé. Une fois ce terrible mensonge annoncé à son épouse et à ses enfants, il observe leurs réactions tout en sachant qu'il ne peut plus faire marche arrière et se retrouve pris à son propre piège. Simuler un cancer demande beaucoup plus d'énergie qu'il ne l'aurait cru. Il doit apprendre l'art de l'esquive. Parmi les effets secondaires de la chimiothérapie, comme la peau sèche et la perte des cheveux n'était pas à sa portée, il avait choisi les nausées et la fatigue. Quand l'étau du remord lui comprimait la gorge, il se racontait que toute cette bouffonnerie avait pour but de se rapprocher de ceux qu'il n'avait jamais assez aimé.
Pour son premier roman, Paloma de Boismorel nous livre une comédie absurde et pleine d'esprit. le ridicule et l'humour apparaissent à chaque page, provoquant des situations hilarantes. Cet architecte en pleine crise existentielle qui tente de regagner l'estime de sa famille en mettant sur pied un plan machiavélique est une histoire véritablement cocasse qui donne lieu à des situations hilarantes. Les milieux privilégiés et quelque peu superficiels de l'art et de l'architecture sont ici largement égratignés par la plume acérée mais au combien réaliste de l'auteure.
Paloma de Boismorel est née à Nantes en 1988. Elle est journaliste et vit à Bruxelles
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Ou le début d’un gros mensonge ?
Car notre héros, est un architecte en vogue mais particulièrement désabusé….alors bien sûr, nous sommes très loin des véritables problèmes des agriculteurs, mais notre Bobo, est quand même bien malheureux.
Ses clients lui demandent tous la même maison, pensant qu’ils sont à la pointe de l’innovation, ses enfants sont indifférents…et que dire de sa femme, galeriste.
Alors comme beaucoup, sa santé se délite, il se croit atteint d’un mal sérieux…mais là, aussi désillusion…une petite allergie.
Dans cette époque, où il faut communiquer sur tout et n’importe quoi, il décide de se créer un cancer, croyant provoquer une onde de choc, un regain d’intérêt de ses proches, de sauver son couple.
Un roman très critique sur notre époque, les milieux de l’Art Contemporain, les classes aisés
On sourit beaucoup, on est aussi pas mal consterné, devant le vide des relations humaines, et finalement, d’une conclusion en demi-teinte.
Mais on a hâte de lire le prochain roman Paloma de Boismorel
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Ce roman emmène ses lecteurs dans l'exploration de la psyché des fumistes des temps modernes : architectes pleins de projets théoriques et peu fonctionnels, gérants de galerie d'art sans signification - et leurs clients. Il peut y avoir des moments amusants dans la description de certaines mondanités, dans la découverte de la perte de communication et de sens dans une famille (le narrateur s'invente un cancer pour attirer l'attention de sa femme), mais le résultat m'a paru brouillon et être lui-même l'un des objets ambitieux et un peu boursouflé qu'il voulait dénoncer.
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Premier roman qui nous plonge dans le monde de l’art et des classes aisées au travers d’une comédie. Au cœur de l’intrigue la solitude d’un couple et le vide des relations humaines et familiales qui sont explorés avec franchise. Malgré le désespoir palpable, les personnages (particulièrement Pierre) peinent à susciter une véritable empathie manquant de profondeur. L’humour, bien que vivace et mordant, tombe parfois dans le prévisible et manque de subtilité. Les dialogues et réflexions absurdes bien ciselés offrent certes des moments de rire mais le potentiel semble être laissé en suspens. Le roman à mon sens offre trop de longueur qui conduit à une conclusion déconcertante « tout ça pour ça ? » S’aboute un problème de relecture il manque parfois des mots et l’associé de Pierre se nommant Christophe devient Christian. Du potentiel pas encore aboutie.
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